Berlin a été le premier Etat européen a répondre à l’appel à l’aide lancé par la France, après les attentats de Paris. Sous l’impulsion de la chancelière démocrate-chrétienne (CDU) Angela Merkel, à la tête d’une coalition avec le parti social démocrate (SPD), le parlement a donné son feu vert en moins de trois jours. Ce vote est un préalable absolu en Allemagne, avant tout engagement de soldats, au contraire de la France où un président de droit quasi divin a les coudées franches pour déclarer tout seul la guerre à qui il l’entend. Mais ce processus politique particulièrement lourd en Allemagne s’étend d’ordinaire sur plusieurs mois…
Lire Serge Halimi, « L’art de la guerre imbécile », Le Monde diplomatique, décembre 2015.
Le déploiement autour du théâtre syrien est autorisé pour un an, sur un financement de 134 millions d’euros, avec un effectif qui pourra être porté, si nécessaire, jusqu’à 1 200 militaires, mais dans le cadre d’une opération de type observation, sans participation aux frappes aériennes menées par la coalition (et par l’aviation russe). C’est donc une opération plus politique et diplomatique que véritablement militaire. Ce n’est pas elle, en tout cas, qui risque de retourner le rapport de forces sur le terrain. Mais son apport peut être significatif, notamment en matière de renseignement : le BND est particulièrement actif dans la zone, relève Nicolas Gros-Verheyde, sur son site B2, qui dresse un bilan des engagements militaires européens de ces dernières semaines.
De manière générale, l’armée allemande n’est engagée que sous mandat international – ONU, OTAN ou coalition –, dans un cadre limité, avec des règles d’engagement peu offensives, dans des missions dites « de basse intensité » (soutien, stabilisation, reconstruction, formation) qui n’impliquent pas « d’entrée en premier »…
Intérêts vitaux
Dans ses motivations, le gouvernement allemand a invoqué – comme la France en septembre dernier – la légitime défense : « Nous avons notre propre intérêt à combattre Daech, explique Ursula von der Leyen, la ministre de la défense. C’est vrai que la solidarité accentue un processus politique important, mais l’Allemagne a ses propres intérêts vitaux à ce que la paix gagne cette région (1) ».
Il s’agit, a fait remarquer son ministère, du troisième engagement militaire allemand depuis la fondation de la Bundeswehr, en 1955, après la Bosnie, le Kosovo, et l’Afghanistan (une mission que le gouvernement allemand vient de prolonger dans le nord de l’Afghanistan, augmentant le plafond de ses effectifs à 980 soldats).
Autre engagement solidaire avec les Français, consécutif aux attentats de novembre : la décision de la chancelière d’envoyer au Mali 650 militaires, dont notamment des spécialistes du génie et de la reconnaissance. Il s’agit en fait du renforcement d’une opération qui était envisagée depuis plusieurs mois, mais à hauteur de 400 hommes.
Versés à partir du début de l’an prochain au sein de la force des Nations unies, la Minusma (forte de 10 000 militaires et de 1 000 policiers), les soldats allemands devraient être en majorité stationnés à Gao, la porte du nord du Mali, où est installé le principal contingent français de l’ex-opération Serval, devenue Barkhane. Indirectement au moins, cette participation renforcée devrait contribuer à soulager l’armée française qui, avec plusieurs fronts en Afrique, au Proche-Orient et maintenant sur le territoire national, est à la limite de ses capacités.
Dossiers de cibles
Aussitôt autorisée, l’opération sur le terrain autour de la Syrie a été entamée en un temps également record : l’avant-garde de l’escadron de chasseurs Tornado a été acheminée dès le milieu de cette semaine sur la base d’Incirlik, au sud de la Turquie, avec un appareil de ravitaillement en vol MRTT et un A400 M de transport militaire. Les Tornado allemands, équipés du système de reconnaissance optique ASSTA3, contribueront, en liaison notamment avec les état-major américain et français, à établir les dossiers de cible en vue d’éventuelles frappes aériennes de la coalition.
Lire « Embarras autour des ventes d’armes, Le Monde diplomatique, mai 2015.
Autre geste : la frégate de la marine Augsburg se dirige vers le golfe Arabo-Persique, où elle intégrera l’escadre de protection du porte-avions Charles de Gaulle. Les satellites allemands SAR-Lupe seront également sollicités. Et l’aide aux peshmergas kurdes au nord de l’Irak, sera renforcée : cet appui en matériel et en formation occupait déjà une centaine de soldats allemands sur le terrain depuis octobre 2014.
Appareils hors d’âge
Ce déploiement autour de la Syrie n’est cependant pas une entreprise aisée pour la défense allemande.
Sur le plan politique, même si la très confortable majorité de la coalition au Bundestag donne au gouvernement les coudées franches, la gauche radicale (Die Linke) ainsi qu’une fraction des écologistes (Die Gruene) et quelques dizaines de députés de la coalition restent opposés à cet engagement, ou en tout cas très réservés. Début décembre, le ministre de l’économie Sigmar Gabriel a d’ailleurs promis, lors du congrès du parti social-démocrate (SPD) dont il est le président, de conditionner toute extension du mandat allemand à un référendum interne sur la question (2).
Sur le plan technique, également, on relèvera que les deux Tornado envoyés en éclaireur ne sont pas équipés du système de reconnaissance optique qui les rendrait pleinement opérationnels : il faudra attendre janvier pour que les six appareils annoncés, qui sont en voie de modernisation dans des ateliers en Allemagne, soient déployés sur zone.
Sur les 93 Tornado dont dispose la Luftwaffe, 29 seulement seraient aptes à voler (contre 38 en 2014) : la majorité de ces appareils sont âgés d’une trentaine d’années. Les Transall de transport tactique, dont la moitié sont cloués au sol, ainsi que les A310 de ravitaillement, sont également hors d’âge. Et la disponibilité des chasseurs Eurofighter, pourtant récents, n’était que de 57 % l’an dernier.
Au moins dix ans ?
« La situation de notre système d’aviation reste insatisfaisante », reconnaît le général Volker Wieker, inspecteur général de la Bundeswehr. Dans un rapport, il recommande l’adoption d’un catalogue de cent-dix-sept mesures pour un volume total de 5,6 milliards d’euros d’ici dix ans, tout en admettant qu’ « on ne peut attendre des résultats rapides (3) ».
Or, selon Hans-Georg Ehrhart le président du syndicat des soldats, le Bundeswehrcerbrand, ce conflit « risque de durer au moins dix ans ». (4) Pour lui, le problème n’est pas le manque de moyens, dans un pays qui consacre près de 34 milliards d’euros par an à la défense (soit plus que la France, mais avec une efficacité militaire largement mois grande). Il plaide au passage pour le lancement de programmes d’armement européens, afin de réduire les coûts, par exemple dans le secteur des avions de chasse.
A petits pas
L’Allemagne n’est pas la seule à répondre à la demande d’assistance mutuelle formulée par la France il y a un mois, en application de l’article 42.7 du traité de l’Union européenne. La Grande-Bretagne a finalement rejoint, le 2 décembre dernier, le petit club des pays qui bombardent les positions de l’OEI, et annonce en parallèle un investissement de 17 milliards d’euros sur dix ans pour moderniser et renouveler ses équipements de défense. L’Italie, réticente à s’engager dans des combats, a annoncé cependant l’envoi de 450 militaires pour protéger le chantier de rénovation du barrage hydroélectrique de Mossoul en Irak, près de la ligne de front avec Daech.
La Belgique a envoyé une frégate dans le Golfe aux côtés du porte-avions Charles de Gaulle, et mis en réserve pour 2016 300 hommes pour intervenir au Sahel. La Suède, plutôt que de s’engager au Proche-Orient, préfère l’envoi de moyens logistiques pour soulager l’effort de la France au Mali et dans les pays de ce que les militaires appellent la BSS (Bande sahélo-saharienne) (5). Une dizaine d’autres pays ont offert des heures de vol de transport militaire, ou quelques mini-renforts en personnel.