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Tous candidats !

par Alain Garrigou, 8 septembre 2016
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École primaire de garçons, 1890
Saint-Hilaire-de-Chaleons, vers 1890 (Eugène Recoquillé) cc pierbou

Quand une « rentrée politique », comme il est désormais convenu de l’appeler, coïncide avec la campagne pour les élections primaires, il ne faut pas espérer échapper au matraquage médiatique. Peut-on en profiter pour examiner ce qui, sous l’écume des jours, petits potins et péripéties de l’actualité politique, relève de ce que les historiens appellent le « temps long » ? En politique aussi, malgré les apparences, il en est un. Face à ces primaires entamées à droite, puis à gauche, on ne sait s’il faut s’étonner de l’abondance des candidatures ou bien du fait qu’on y retrouve toujours les mêmes têtes. Les deux constats paraissent antinomiques tant le premier semble constituer une ouverture de la compétition politique — aujourd’hui treize à tables pour la primaire Les Républicains (LR) — et le second, son verrouillage.

Signe particulièrement éclatant de cette continuité, une seule femme est candidate (Nathalie Kosciusko-Morizet), laquelle n’est même pas encore sûre de pouvoir se présenter, faute de parrainages suffisants (1). La professionnalisation est encore accentuée, avec uniquement des politiciens professionnels, même lorsqu’ils ont moins de 40 ans : anciens présidents, anciens premiers ministres, anciens ministres, élus — bref, des gens qui n’ont jamais rien fait d’autre que de la politique. On subodore déjà qu’à la fin l’impression de « déjà-vu » l’emportera. Sans doute l’hypothèse d’un remake Hollande-Sarkozy plane-t-elle comme une ombre inquiétante. Revanche pour les optimistes, farce pour les autres. Sauf que dans ces événements de l’histoire qui, selon la phrase célèbre de Marx, se répèteraient deux fois, la première comme tragédie, la seconde comme farce, on ne sait plus très bien aujourd’hui comment distinguer l’une de l’autre.

Inflation des candidatures, faux-semblant démocratique

Mais le retour de candidats connus jette un trouble plus profond : peut-on encore parler de « souffle démocratique » comme on le disait autrefois des élections ? L’institution d’un scrutin primaire semblait vouloir répondre à cette inquiétude. Elle procèdait surtout d’un défaut de leadership, en cherchant à introduire une sélection plus démocratique que celles des partis depuis 2006. En termes strictement chiffrés, une sélection par un corps électoral de quelques millions d’électeurs, cela paraît tellement plus légitime que le vote de quelques milliers d’adhérents — et en réalité de quelques dizaines d’apparatchiks tireurs de ficelles. La prolifération des candidatures aux élections primaires est malgré tout limitée par l’imposition du parrainage interne d’élus. Pour ceux qui s’affranchissent de cette étape des primaires, les candidatures à l’élection présidentielle ont vu les conditions originelles d’un soutien se durcir, passant de cent signatures à cinq cents ; récemment, l’obligation de publier l’intégralité de parrainages complique encore la tâche des prétendants (lire « Une réforme des sondages à l’arraché »). Comme celle de Jean-Luc Mélenchon qui n’aurait, à l’heure actuelle, obtenu que deux cents signatures sur les cinq cents exigées. En menaçant d’ôter les investitures à leurs élus indisciplinés, les partis resserrent leur contrôle.

Lire aussi Clémentine Fauconnier, « Les primaires, version russe », Le Monde diplomatique, septembre 2016.

Toutes les candidatures n’ont certes pas le même statut. Il y a d’un côté ces candidats depuis longtemps pressentis qui visent effectivement l’investiture de leur partis. Certains n’ont aucune chance mais leur statut de candidat officiel du parti est déjà un capital politique, qui permet d’emblée un accès plus facile aux médias et aux sondages, à moins que des candidats espèrent ainsi pouvoir négocier leur place dans le camp du vainqueur, amorcer une ascension politique, monter une marche de plus dans leur carrière. Ou simplement faire un tour de chauffe avant la prochaine échéance. Exister politiquement, tel est en effet le fin mot du principe qui régit la compétition électorale. Et l’avenir n’étant jamais certain, certains candidats ne se présentent qu’« au cas où » : un scandale, un président sortant trop impopulaire, un autre rattrapé par des affaires etc.

Bien sûr, il restera plus de candidats que lors de la première élection présidentielle de 1965 sous la Ve République, quand ils n’étaient que six, dont deux inconnus, deux semi-connus, deux très connus. Le tout pour une campagne plus longue. En 1965, le premier candidat s’était déclaré début septembre et le dernier début novembre, pour un premier tour fixé le 5 décembre. Aujourd’hui, la rentrée politique s’effectue autour des primaires dès la fin août. En réalité, il ne s’agit que d’une simple accélération tant la campagne présidentielle est devenue permanente.

En attendant, comment expliquer ce paradoxe d’une ouverture compatible avec la fermeture ? À en croire un témoin suisse de la Révolution française, il pourrait s’agir d’un atavisme. En son temps, celui-ci opposait les deux « nations » anglaise et française en signalant comme trait le plus frappant « la réserve un peu timide de l’Anglais et la confiance du Français en lui-même ». Et de s’appuyer sur un micro-trottoir imaginaire : « Je disais souvent que si l’on eut arrêté cent personnes dans les rues de Londres et cent dans les rues de Paris et qu’on leur eut proposé de se charger du gouvernement, il y en aurait eu 99 qui auraient accepté à Paris et 99 qui auraient refusé à Londres » (2). Et d’ajouter une anecdote humoristique censée être significative de ce travers français : « C’est un gentilhomme français à qui l’on demandait s’il savait jouer du clavecin et qui répondit : “Je ne saurais vous dire, je n’ai jamais essayé mais je vais voir” » (3). Quand un président en exercice s’excuse du temps perdu en début de mandat, en plaidant qu’il faut le temps d’apprendre le métier, de connaître le fonctionnement de l’État (4), on a quelques raisons de se demander si des candidats ne briguent pas les places sans savoir à quoi s’attendre. Cette explication culturaliste ne satisfait pas mais a au moins le mérite d’amuser.

Dans cet univers très hiérarchisé qu’est celui des professionnels de la politique, on fait donc toute sa vie dans le « métier ». Ce n’est pas tout à fait un travail comme un autre, mais plutôt une carrière à vie. Il ne faut pas espérer de grands changements en la matière tant la classe politique répugne à mettre en œuvre les changements institutionnels qui pourraient la mettre en danger. Une compétition non point fermée comme dans des régimes autocratiques mais semi-ouverte — ce n’est déjà pas si mal, pourrait-on objecter. Il existe bien des écarts distinctifs entre des candidats du même camp, ne serait-ce qu’en terme de styles, pour ne rien dire des programmes. En même temps, le passé est riche de divergences de discours devenues convergences de politiques. Mais on ne devrait pas faire la fine bouche après des millénaires de domination brute et sans partage… Quoiqu’il en soit, le soupçon s’est introduit, inégalement selon les générations — les seniors étant les plus attachés aux vieilles croyances du régime représentatif — et selon les milieux sociaux.

Ce soupçon est conforté par la lutte des agents politiquement actifs, s’obstinant à se re-présenter, avides de réussite, sans parvenir à convaincre de leur motivation altruiste. Certes, il y a des supporteurs qu’on exhibe devant les caméras. Certes, on dit encore vouloir le bien du pays. Rares sont ceux qui y croient encore. Cependant, le cynisme populaire du « on ne nous la fait pas » se conjugue toujours à une adhésion affective. Curieux paradoxe.

L’impopularité, ressort du suspense

Lire aussi Rémi Lefebvre, « L’autodestruction du Parti socialiste », Le Monde diplomatique, juillet 2016.

Dans cette campagne présidentielle, il est donc une originalité (ces primaires de tous bords) qui risque d’être occultée par la banalité de la reproduction politique. Un duel Hollande-Sarkozy, de plus en plus improbable, ferait apparaître dans une cruelle lumière l’emprise de la logique de reproduction oligarchique. Et sinon ? Sans doute rien de bien nouveau. Pourquoi tout ce remue-ménage pour en arriver là ? De là à conclure que ces compétitions ne sont que des rituels de confirmation du leadership, il n’y a qu’un pas que bien des électeurs franchiront. Comment cela est-il seulement envisageable quand de multiples indicateurs montrent l’impopularité des candidats qui disposent des plus importantes ressources partisanes ?

La forte impopularité des rivaux de la dernière élection présidentielle est un cas intéressant. Selon les études d’opinion, une immense majorité des sondés — environ quatre sur cinq — disent ne vouloir ni de l’un ni de l’autre. Cette réponse est peut-être bien accentuée par la crainte de voir moins l’un ou l’autre que l’un et l’autre. Peu importe que ces études soient corroborées ou non par des opinions ordinairement exprimées dans la vie commune. Les professionnels de la politique y croient — ils ne jurent même que par elles — et pourtant… ils s’en moquent. Comment peuvent-ils s’accommoder d’autant d’hostilité ? Il faut bien croire que le désir de pouvoir est supérieur à certains inconvénients. Un sujet infini de méditation sur le désir de puissance. Mais comment espèrent-ils changer les choses et, in fine, imposer leur élection ?

Ils disposent pour cela d’entrepreneurs en élections. Ces derniers travaillent une matière électorale : on est évidemment loin du citoyen souverain dépeint par la doctrine démocratique. L’électeur est assimilé à un consommateur et la politique assimilée à un marché où sont confrontées une offre et une demande. L’image que ces entrepreneurs — et autres conseillers en communication — trahissent implicitement, est celle d’un public volatile, futile, simpliste, manipulable ; une masse segmentée d’individus conçus par et pour la croyance fonctionnelle en l’efficacité de la communication. Mais cette assimilation de l’électeur au consommateur est à peine plus qu’une métaphore ou une analogie — tout le monde s’accordant sur le fait qu’un consommateur de politique n’est pas un client captif, incapable de résister à un besoin vital et donc au produit censé le satisfaire. Aussi l’hypothèse d’un duel déjà vécu et massivement rejeté ferait figure d’expérience : comment convaincre les consommateurs de participer à un choix qu’ils réprouvent ? On est presque impatient de connaître la suite.

Alain Garrigou

(1Le 8 septembre, Mme Kosciusko-Morizet a finalement réuni les parrainages nécessaires pour participer à la primaire LR.

(2Etienne Dumont, Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives, Paris, CH. Gosselin, 1832, p. 161-162.

(3Ibidem, p. 163-164.

(4« Au début, même si on a envie de faire, l’énergie, les idées, il faut quand même du temps pour comprendre comment ça fonctionne, l’État » (François Hollande, Le Monde, 28-29 août 2016).

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