L’écrivain guinéen Tierno Monénembo, après l’annonce de la « large victoire » du parti du président Macky Sall aux législatives du 30 juillet au Sénégal — un scrutin marqué par des problèmes d’organisation sans précédent —, appelle à la libération de son principal opposant, Khalifa Sall, maire de Dakar. Ce dernier est incarcéré de façon préventive depuis mars, sur une inculpation pour fausses factures.
Connu pour son franc-parler, Tierno Monénembo s’est distingué le 12 avril dernier en « refusant d’aller manger avec ceux qui mangent l’Afrique », déclinant une invitation de l’Élysée à un dîner avec le chef de l’État guinéen Alpha Condé. L’écrivain, prix Renaudot pour Le roi de Kahel (Seuil, Paris, 2008), s’insurge ici contre les méthodes des pouvoirs en place, qui transforment en calvaire le statut d’opposant.
« Bientôt cinq mois que Khalifa Sall, le maire de Dakar croupit dans une cellule de prison. Son crime ? Détournement de fonds publics, dit-on. Cette accusation qui intervient à deux ans de la présidentielle et à quelques semaines des législatives ne trompe personne. À travers le monde entier, des voix prestigieuses et innombrables se sont élevées pour dénoncer son caractère politique c’est-à-dire partial et prémédité. Je voudrais, en toute modestie, y joindre la mienne. Le faisant je ne défends pas une personne — fût-elle un ami — mais un principe sacré et cher à l’Africain désenchanté que je suis : la justice si jamais ce mot a encore un sens dans un continent où le droit a tendance à s’incliner devant le fait du prince.
Car le cas Khalifa Sall n’a rien d’isolé. Il nous rappelle dramatiquement celui de Patrice Talon (Bénin), Moïse Katumbi (RDC), ou de Hamma Amadou (Niger) et sans doute, quelques dizaines d’autres moins médiatisés mais non moins cruels et injustes. Chez nous, les opposants versent automatiquement dans la délinquance quand ils sont populaires et surdoués, je veux dire, électoralement dangereux. Nos dirigeants, la plupart mal élus, paniquent à l’annonce des consultations : les juges font du zèle, les procès pleuvent et les actes d’accusation sont dignes d’un inventaire à la Prévert : sacrifices rituels ou empoisonnement, recel de vol ou de cadavre, prise illégale d’intérêt ou trafic de bébé.
Hier, on vous accusait de complot avant de vous soumettre à la “diète noire” de Sékou Touré ou de vous jeter aux crocodiles d’Amin Dada. Aujourd’hui — nous sommes en 2017 tout de même ! — on commence à goûter au formalisme juridique sans pour autant renoncer au poison de l’arbitraire. Après tout, gégène ou procès en sorcellerie, le résultat est le même du moment que l’on est seul à jouir des délices du pouvoir.
Le pouvoir ! Le culte du pouvoir ! L’obsession du pouvoir ! Le voilà, le véritable mal de l’Afrique, la source putride d’où tous les autres découlent. Les sociétés ne fonctionnent que si elles s’imposent des règles de vie précises, indépendantes des circonstances et des hommes. L’ennui avec nos dirigeants, c’est qu’ils n’obéissent à aucune règle, hormis celle de leurs intérêts immédiats. Ces messieurs échappent à tout contrôle : au rite traditionnel cher aux Anciens aussi bien qu’au code juridique moderne. C’est à peine s’ils n’ont pas droit de vie et de mort sur leur peuple malgré les timides avancées démocratiques observées ces dernières années. Et pour cause, ils sont passés maîtres dans l’art de briser les contre pouvoirs et de torpiller les institutions ! Tout opposant est un homme à abattre ; toute idée nouvelle, un projet à contrecarrer.
Khalifa Sall est un opposant doté de courage et d’intelligence, donc Khalifa Sall est un homme à abattre. Un jeune inconnu qui, dans la course à la mairie de Dakar, a successivement éliminé et le fils d’Abdoulaye Wade et le Premier Ministre de Macky Sall, est forcément dangereux.
Les Sénégalais savent que Khalifa Sall, et c’est le seul problème qui vaille, représente l’alternative la plus crédible aux présidentielles de 2019. Ne serait-ce que pour cela, il mérite qu’on le jette au bûcher en l’accablant des torts les plus fantaisistes. Celui d’avoir détourné non plus des deniers publics mais le cours du fleuve Sénégal, par exemple. »