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« X-Adra », de Ramzi Choukair

Libres paroles de prisonnières syriennes

À la Filature de Mulhouse, dans le cadre du festival Vagamondes, la création de « X-Adra », témoignages de femmes, sur deux générations, passées par les geôles et la torture du régime syrien, percute et impressionne.

par Marina Da Silva, 18 janvier 2018
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© Ahmed Naji

Ayat Ahmad est née en 1990 à Damas. Elle est arrêtée devant la faculté de lettres avec une cinquantaine d’autres étudiants en 2009 pour avoir distribué des tracts réclamant simplement une ville plus propre. Elle passera neuf mois sous la torture de la Sécurité politique et militaire. À sa libération, elle est mariée contre son gré. Lorsque s’embrase la révolution syrienne, en février 2011, elle quitte le mari qu’elle n’a pas choisi et s’engage auprès d’associations de lutte. Elle sera de nouveau incarcérée en avril 2012 puis en février 2013. En 2014, elle fuit la Syrie par la frontière turque. Elle est aujourd’hui réfugiée à Toulouse, où elle fait des études de sciences politiques et de journalisme.

Kenda Zaour, originaire de Soueïda, est née en 1986 et vivait à Jaramana, dans la banlieue sud-est de Damas. En 2012, elle manifeste au cœur de la capitale, avec sa jeune sœur et deux amies en robes de mariées, pour réclamer la libération des prisonniers. Arrêtées, elles seront libérées quelques mois plus tard lors d’un échange d’otages iraniens de l’Armée syrienne libre (ASL) contre 2 060 prisonniers du régime. Elle s’exile au Liban puis en Turquie et en Grèce avant d’arriver à Berlin.

Ali Hamidi, transgenre né en 1990 sous le nom de Ola, a été forcé à se marier avec un cousin en 2008. Il quitte peu après la Syrie pour la Jordanie. Il y revient au début de la révolution, à laquelle il participe en aidant les déserteurs de l’armée (beaucoup d’appelés ne veulent pas aller faire la guerre) à fuir en Jordanie. Arrêté en octobre 2012, il est libéré sous caution en 2014 et s’enfuit en Turquie. Réfugié en Allemagne, il a pu effectuer son changement de sexe en 2016.

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© Ahmed Naji

Hend Alkahwaji est née en 1956. Elle est arrêtée en juillet 1982 alors qu’elle distribue des tracts pour demander le retrait de l’armée syrienne du Liban. Elle sera interrogée durant huit mois. Puis de nouveau en 1984 alors qu’elle a repris ses activités militantes au Parti du travail communiste (interdit). S’ensuivent huit mois d’interrogatoire et d’isolement puis trois ans à la prison de Quatana et quatre ans et demi à celle de Duma. En 2013, elle quitte la Syrie avec son nouveau compagnon. Ils passent par le Liban avant d’arriver jusqu’à Lyon.

Mariam Hayed est née en 1990 à Atareb, dans la région d’Alep. Étudiante, elle participe aux manifestations avant de se faire arrêter en janvier 2014 et d’être accusée de terrorisme. Elle fera une fausse déclaration pour faire cesser la torture à laquelle elle est soumise. Libérée sous caution, elle fuit en Turquie où elle peut faire une demande d’asile pour la France.

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© Ahmed Naji

Rowaida Kanaan est née en 1976. Elle est arrêtée dès le mois d’août 2011 pour sa participation aux manifestations. Puis de nouveau en 2012, et en 2013, lors d’un contrôle à un checkpoint alors qu’elle est avec son compagnon. Il n’en ressortira pas vivant. Elle est libérée lors d’un échange de prisonniers entre les rebelles et le régime en mars 2014. Depuis 2017, elle vit à Paris après avoir fui par la Turquie.

Lubana Al Quntar, grande voix du chant lyrique et traditionnel arabe, est la seule à ne pas avoir ce parcours de détention terrifiant et porte par son souffle l’âme de tout un peuple.

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© Ahmed Naji

Auteures et interprètes de leurs propres témoignages dans X-Adra, en référence à la prison de Damas par laquelle elles sont presque toutes passées, leur prestation ne passe pas inaperçue. Le projet est porté par Ramzi Choukair, comédien metteur en scène franco-syrien qui partageait sa vie artistique entre la Syrie et la France, et le dramaturge Wael Kadour, réfugié en France depuis 2015.

Tout commence par la rencontre de Ramzi avec une de ses compatriotes à Mersin, « la petite Syrie » turque qui abrite plus de 200 000 réfugiés. Il est ébranlé et bouleversé par son témoignage, sa capacité de résistance après l’expérience traumatique absolue de la détention. Il va se déplacer dans d’autres villes du sud de la Turquie pour rencontrer d’autres anciennes détenues, puis à Istanbul, Berlin, Paris, Lyon ou Madrid. Certaines sont prêtes à témoigner publiquement. Malgré la brutalité de ce qui a été vécu, de la torture, du viol utilisé comme arme de guerre pour les briser.

Les femmes, activistes ou simples citoyennes, ont joué un rôle important dès le début du soulèvement, et en ont payé le prix fort. Elles seraient encore entre cinq et sept mille à être détenues en 2017. Cinquante mille l’ont été depuis 2011. Ramzi Choukair veut en rendre compte. Montrer la continuité, sur deux générations de détenues, des mécanismes de terreur et de déshumanisation qu’utilisait le régime Assad. Montrer comment elles ont aussi été prises en étau entre le système dictatorial du régime et les groupes armés de la mouvance islamique radicale.

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© Ahmed Naji

Malgré la difficulté de parler à visage découvert alors que la plupart des réfugiés craignent les représailles pour leurs proches restés en Syrie, elles sont plusieurs à relever le défi. Celles qui restent sur le plateau et qui entremêlent leurs histoires dans un chant polyphonique percutant n’ont pas hésité parce que leur présence sur scène est la continuité de leur combat pour la liberté et l’émancipation.

Pour le metteur en scène, une chose était sûre : « si nous présentons vos récits au théâtre, personne ne prendra votre place. Vous raconterez votre histoire, car non seulement elle vous appartient, mais vous êtes les plus à mêmes de la transmettre ».

Si l’on ne sort pas indemne de la représentation, le dispositif scénique, avec le beau travail à l’image de Maud Grübel, et l’engagement total des comédiennes qui force l’écoute et le respect, nous amène à recevoir ces témoignages à hauteur de regard et de coeur. Au-delà de l’indicible de tout ce qui a été éprouvé, la beauté de leurs visages, la présence de leurs corps, la force de leur voix et de leurs convictions nous parviennent comme une résistance acharnée et une célébration de la vie et du courage alors que leur pays reste en feu.

Après une étape de création au Vigan (Gard) et à Marseille, la pièce a été coproduite et donnée à La Filature, Scène nationale de Mulhouse dans le cadre du festival Vagamondes.

Elle sera à Annecy les 21 et 22 novembre et à Bonlieu - Scène Nationale d’Annecy, les 21 et 22 novembre et à l’Espace Malraux - Scène Nationale de Chambéry et de Savoie, les 27 et 28 novembre 2018. Puis tournée nationale et européenne en cours de programmation.

Vagamondes, festival des cultures du sud, avec un focus Egypte, Syrie, Irak, Iran, jusqu’au 27 janvier.

Tél. : 03 89 36 28 28

Marina Da Silva

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