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Brèves Hebdo (12)

À quand des étincelles dans les terrains vagues ?

par Evelyne Pieiller, 16 juin 2020
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On patauge dans le flou.
On se cogne dans le contradictoire.
C’est assez mauvais pour la santé.
L’OMS le 29 mai conseille d’ « envisager d’autoriser la tenue de rassemblements de masse lorsqu’il est sécuritaire de le faire ». La langue de l’OMS, comme celle de l’Unesco d’ailleurs, est une source d’étonnement sans cesse renouvelée, mais enfin, on croit possible de soupçonner qu’elle indique qu’on peut y aller. Si on a du gel. Ou bien ?

Lire aussi Olivier Pironet, « Vous avez dit skinhead ? », « Musique et politique », Manière de voir n˚171, juin-juillet 2020.

Le ministre de la santé etc. Olivier Véran rappelle le 15 juin qu’il faut toujours « éviter les regroupements de plusieurs personnes en milieu fermé » et que les interdictions des rassemblements de plus de 10 personnes sur la voie publique et des grands événements (plus de 5 000 personnes) sont toujours d’actualité.

Le Conseil d’État vient pour sa part de préciser : « Alors que la liberté de manifester est une liberté fondamentale, le juge des référés en déduit que, sauf circonstances particulières, l’interdiction des manifestations sur la voie publique n’est justifiée par les risques sanitaires que lorsque les “mesures barrières” ne peuvent être respectées ou que l’événement risque de réunir plus de 5 000 personnes ». À propos, l’éprouvante Fête de la musique, le 21 juin, autorisée, pas autorisée ?

La Vendée et les vicomtes ont la vertu inattendue d'être virusproof

Ouverture le 11 juin du Puy du Fou, annoncée le 20 mai. La Vendée et les vicomtes ont la vertu inattendue d’être virusproof. Les patrons de festivals qui ont été obligés d’annuler sont méditatifs.

Réouverture des lieux de spectacle dès le 2 juin en zone purifiée, dés le 15 ailleurs. Chaque spectateur impérativement masqué doit être isolé dans 4 mètres carrés. Les responsables de salles sont réservés.

Réouverture des cinémas le 22 juin. Obligation de n’utiliser qu’un fauteuil sur deux. Le spectateur sera incité à porter un masque. Dans le train, depuis le 31 mai, la solitude prophylactique du voyageur n’est plus réglementaire. Les exploitants sont interrogatifs.

Soit dit sans méchanceté particulière, on les comprend. C’est même à peu près tout ce qu’on comprend. Comme on ne souhaite pas induire le lecteur (tiens, à propos, le lecteur précisément, il peut gaiment aller acheter des livres, il doit vraiment en revanche étudier l’affaire de près pour savoir si, quand, comment la bibliothèque de son quartier est ouverte, et prendre rendez-vous ), donc, comme on ne souhaite pas induire le lecteur en erreur, on va chercher quelques éclaircissements sur le site du ministère de la culture. Avec une ruse dont la transparence finirait par être touchante, il titre sur « le déconfinement de la scène de la création contemporaine », c’est-à-dire sur, ah surprise surprise, les… plasticiens, et offre une affable publicité à une galerie privée. Le ministère devient fascinant. Le lecteur est toujours perplexe, et de surcroît un peu irrité qu’on le prenne pour un imbécile heureux. Il y a une chose sûre : il n’est pas heureux.

En réalité, ce long moment où les salles sont vides et où les artistes ne peuvent aller sur scène, n'est-ce pas la cristallisation grossissante du temps d'avant

On nous aura beaucoup parlé de « temps perdu » à propos des mois de confinement, sans compter les mois à venir, dont il est à peu près clair (noir clair) qu’ils vont être dépourvus d’opportunités pour une grande partie des artistes du spectacle vivant — épouvantable expression. Temps perdu, travail interrompu, projets qui ne verront pas le jour. Mais en réalité, ce long moment où les salles sont vides et où les artistes ne peuvent aller sur scène, n’est-ce pas la cristallisation grossissante du temps d’avant, où les salles étaient souvent peu remplies et où de nombreux artistes ne parvenaient pas à se faire programmer, faute d’entrer dans la grille des normes des programmateurs ? À se demander si ce n’est pas depuis une trentaine d’années qu’on est entré dans le temps perdu, dans les imaginaires perdus, dans les légendes perdues. Qu’il est doux de justifier l’absence de public par les failles de la démocratisation culturelle, comme si elle était possible sans transformation politique, économique, sociale radicale. Qu’il est simple de justifier le choix des spectacles ou des musiques par leur supposée vertu d’ouverture à l’autre, de contrepoids aux injustices, l’éditorial de la brochure de saison 2019-2020 du Théâtre de l’Odéon en donne ainsi une agréable illustration — à propos de ses artistes, le texte précise « il est beaucoup question de frontières et d’identités dans leurs créations — de ces frontières que beaucoup voudraient voir renaître en Europe — mais aussi de ces frontières de genre et des identités assignées — car s’il est une mission du théâtre — c’est bien celle de briser les frontières... »

Clichés pathétiques, vides de tout sens autre que celui de faire plaisir aux tutelles. Oui, ça fait trente ans au moins qu’on se dévitalise l’imaginative, avec brio. On ne peut qu’espérer que surgisse, à la faveur du désespoir péri-pandémie de chômage, l’invention de caves, grottes, terrains vagues, endroits perdus, arrière-salles etc, où se feront entendre les dissonances et les épopées incompatibles avec tous les extrême-centres, mais indispensables pour nous ébrécher le confort, nous creuser un vide qui fait désirer sans prévenir que la vie étincelle.

Evelyne Pieiller

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