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Afrique de l’Ouest : quand le contrôle des naissances devient une priorité politique

par Sabine Cessou, 15 mars 2019
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Amulette de fertilité du peuple Mafa, 2009, cc Ann Porteus.

La démographie africaine représente l’un des grands enjeux du XXIe siècle. À elles seules, deux régions regroupant 23 pays, l’Afrique de l’Ouest et centrale, totalisent 414 millions d’habitants. Elles vont atteindre le milliard d’ici 2050 pour un total de 2,4 milliards d’Africains — soit un habitant de la planète sur quatre.

Les défis sont colossaux, dans un contexte marqué par les inégalités, le chômage, le changement climatique et de larges poches d’instabilité politique. « L’urgence n’est pas d’éponger l’inondation de jeunes qui se prépare, dans des régions où 64 % de la population a déjà moins de 25 ans, mais bel et bien de fermer le robinet », affirme à l’occasion de la sortie de son rapport Mabingué Ngom, le directeur régional du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale (lire « Démographie : les priorités de l’Afrique, loin de la migration »).

Comment réduire les taux de fécondité, qui s’élèvent encore à 5,2 enfants par femme en Afrique de l’Ouest et centrale, contre 4,4 de moyenne africaine ? La recette tient en trois mots : changer les mentalités.

Vue de loin, l’Afrique semble frappée d’immobilisme en la matière. Pourtant, il n’en est rien. La mécanique du changement est enclenchée depuis les années 1990 en Afrique du Nord et en Afrique australe, où les taux de fécondité sont tombés aux niveaux actuels de 2,9 et 2,3 enfants par femme. « Certains pays comme le Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe, le Botswana, le Zimbabwe, Maurice, les Seychelles et la Tunisie connaissent une baisse plus rapide que les autres de la fécondité, poursuit Mabingué Ngom. Le Sahel, au contraire, affiche encore une pointe de 6 enfants par femme au Niger, même si sa fécondité a elle aussi amorcé une baisse. »

La volonté politique grandit, du côté des pays concernés, pour renverser la tendance. L’enjeu devient flagrant : il s’agit de ne pas se laisser déborder par un afflux de jeunes déjà visible à l’œil nu, comme sur les plages de Dakar, qui se transforment en vastes terrains de sport à la sortie des écoles. L’accès aux méthodes modernes de contraception ne cesse d’augmenter — 27 % des femmes au Sénégal, par exemple, et 1,4 million de femmes supplémentaires en 2018 dans les neuf pays ouest-africains duPartenariat de Ouagadougou (PO), lancé en 2011 pour renforcer les efforts de planification familiale.

« Espaces sûrs » et « clubs de maris »

Les gouvernements de sept pays n’hésitent pas à mettre la main à la poche, pour financer aux côtés de la Banque mondiale et de l’UNFPA un projet « d’autonomisation des femmes et filles du Sahel et de capture du dividende démographique » (SWEDD, en anglais). Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad et maintenant Bénin financent des solutions adaptées à leurs contextes culturels. Quelque 640 « espaces sûrs », des points d’accueil et centres de formation pour les jeunes filles, ont permis d’accueillir 102 000 mineures non scolarisées. Elles appartiennent à la frange la plus exposée aux mariages forcés et aux grossesses précoces.

Le même programme est en train de monter quelque 1 640 « écoles de maris » à travers l’Afrique de l’Ouest. Ces rencontres régulières entre hommes font circuler des informations précises sur la santé maternelle et la planification familiale. Les « clubs de maris », qui ont vu passer 50 000 chefs de famille, ont été lancés en 2007 au Niger avec des résultats probants sur la fréquentation des dispensaires lors des accouchements.

En dehors des gouvernements et des bailleurs de fonds, la société civile s’active aussi pour faire passer le message du contrôle et de l’espacement des naissances. Les relais influents que sont les chefs traditionnels, les griots et les leaders religieux prennent de plus en plus leurs responsabilités. Quelque 300 « communicateurs » traditionnels d’Afrique de l’Ouest et centrale se sont organisés en réseau régional fin 2018 à Dakar, pour parler de planification des naissances et de santé reproductive. Ces éducateurs de proximité plaident aussi contre le mariage des enfants, un fléau en Afrique de l’Ouest, où 40 % des jeunes filles sont encore mariées de force avant 15 ans.

La scolarisation des filles, priorité des priorités

Face à cette situation, l’école reste le plus sûr vecteur de changement. Ce n’est pas un hasard : parmi les pays cités par Mabingué Ngom pour leur baisse plus rapides de la fécondité figurent aussi ceux qui affichent le meilleur taux d’inscription de filles en première année d’école primaire (96,9 % au Cap-Vert, 91,4 % en Tunisie, 81,6 % à Maurice).

Plus les filles sont éduquées, moins elles font d’enfants, et plus la capture du dividende démographique aura des chances de se concrétiser. Ce constat vaut partout dans le monde. En Afrique, le taux net de scolarisation des filles a bondi de 65 % à 83 % entre 1990 et 2015, l’un des meilleurs progrès enregistrés, en phase avec les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Le Niger a lui aussi avancé, mais plafonne à 60 % des filles inscrites en primaire selon les données de l’Unesco. Dans ce pays du Sahel, l’un des plus pauvres du monde, elles ne sont plus que 20 % au collège et moins de 4 % à fréquenter le lycée, contre des niveaux de 90 % et 73 % à Maurice par exemple, un pays à revenu intermédiaire.

Là encore, les États sont conscients des efforts à faire. Contrairement aux idées reçues, l’éducation reçoit une part substantielle des budgets en Afrique subsaharienne : près de 17 % en moyenne contre 12 % en Europe et en Amérique du Nord, avec une situation très contrastée en fonction des pays. Le Sénégal consacre à l’éducation le quart de son budget national, contre 7 % au Nigeria. Ces chiffres témoignent à la fois d’une prise de conscience et du chemin qui reste à parcourir.

Sabine Cessou

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