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Mozambique

Au Cabo Delgado, brouillard de guerre, tambours d’internationalisation

Des djihadistes se sont emparés de la ville portuaire de Mocimboa da Praia, au nord du Mozambique, mercredi 12 août. Sous tension depuis déjà plusieurs années, cette région du Cabo Delgado abrite d’importantes installations gazières mises en place par plusieurs compagnies étrangères dont le français Total. Alors que le gouvernement et les pays voisins plaident pour un renforcement des forces armées pour lutter contre les djihadistes, des associations condamnent une militarisation aveugle qui exacerbe le ressentiment de la population, entretenu par l’accaparement des richesses du pays.

par Jean-Christophe Servant, 13 août 2020
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Entrainement de militaires mozambicains coordonné par les États-Unis à Pemba durant l’exercice maritime multinational annuel Cutlass Express en 2019 cc0 Kyle Steckler.

En octobre 2017, Ahlu Sunnah wal Jamaa (ASWJ), alias Ansar al-Sunna, menait sa première attaque armée sur des postes de police mozambicains de la ville côtière de Mocimbo Da Praia, dans le nord du pays, sur les bords de l’Océan Indien. L’histoire puis le passage à la violence armée de cette secte islamiste, à l’origine quiétiste, vient de faire l’objet d’une étude affinée dans le Journal of Eastern Africa Studies. Son auteur, Éric Morier-Genoud, enseignant-chercheur à la Queens University de Belfast et spécialiste du fait religieux en Afrique lusophone, compare l’itinéraire d’Ansar al-Sunna à celui de Boko Haram au Nigeria, au tournant de la décennie écoulée.

Prés de trois ans après, les attaques menées par de petits groupes liés à la rébellion islamiste avaient, fin juillet, causé la mort de 1 500 personnes dans la province du Cabo Delgado, dont 967 civils, selon le projet Armed Conflict Location & Event Data (ACLED). Mocimbo Da Praia est occupée par les insurgés. Plus de 200 000 Mozambicains, soient 10 % de la population de la province, sont aujourd’hui des déplacés internes, qui affluent vers le sud et la capitale provinciale de Pemba. Il flotte au Cabo Delgado un « brouillard de guerre » où attaques et opérations de représailles menées par les Forces mozambicaines de défense et de sécurité (FDS) se mènent à huis clos, en l’absence de journalistes nationaux et d’envoyés spéciaux. « On ne voit plus vraiment qui est l’ennemi », souligne depuis Maputo le spécialiste du développement Francisco Almeida Dos Santos (un pseudonyme utilisé pour des raisons de sécurité), auteur d’un rapport mené sur la situation dans la province pour l’institut Christian Michelsen de Bergen. Pour M. Almeida Dos Santos, le conflit mené par des insurgés qui paraissent avoir pris confiance, semble désormais entretenu « par des acteurs qui ne sont pas là pour le gagner mais pour le poursuivre. Cet objectif est devenu en lui même un enjeu ».

Bunkérisation rampante

Parmi les acteurs évoluant dans ce « brouillard de guerre », on note un nombre grandissant d’entreprises militaires et de sécurité privée étrangères (EMSP). Celles-ci sont engagées et sous-traitées par le ministère de l’intérieur mais également les principaux investisseurs privés qui lorgnent une province tout à la fois la plus inégalitaire et l’une des plus riches en ressources naturelles du pays. Pour le président mozambicain Filipe Nyusi, à la tête de l’État depuis 2015 et lui-même originaire du Cabo Delgado, il s’agit de maintenir l’intégrité d’une région aux frontières poreuses, bordant le sud de la Tanzanie, qui vit une crise humanitaire intensifiée par l’irruption du Covid-19 et du choléra. Pour les acteurs économiques, dont les activités ont été interrompues par la pandémie, l’objectif est de sécuriser les investissements, en particulier ceux engagés dans l’exploitation du gaz : soixante milliards de dollars pourraient être à terme levés afin d’exploiter et de liquéfier les immenses réserves sous-marines gazières gisant dans les eaux nationales. Malgré ces perspectives prometteuses de développement, le Cabo Delgado continue à être surnommé par ses habitants Cabo Esquecido (le cap oublié), tant il a été marginalisé et négligé par le pouvoir central. C’est pourtant ici, à Chaia, le 25 septembre 1964, que furent tirés les premiers coups de feu de la guerre de libération menée contre le joug colonial portugais…

À Maputo, le ministère de l’intérieur vient de prolonger jusqu’a la fin de l’année le contrat passé avec le groupe sud-africain Dag (Dyck Advisory Group). Enregistrée à Pretoria, cette EMSP a été fondée par le colonel Lionel Dyck, un vétéran de l’armée rhodésienne, qui servit ensuite dans la nouvelle armée zimbabwéenne, assista le Front de libération du Mozambique (Frelimo) mozambicain dans sa guerre contre la Résistance nationale mozambicaine (Renamo, antimarxiste), avant de se recycler en particulier dans le déminage et l’anti-braconnage dans le parc frontalier du Limpopo, à cheval sur l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et le Mozambique. Engagé à l’origine pour mener des opérations aériennes contre l’insurrection islamiste, suspecté de bavures lors de la reprise, fin mai, d’un village, Dag a désormais pour mission de former des troupes mozambicaines au sol. Des mercenaires du groupe russe Wagner, qui avaient été engagées en 2019 par Maputo, avant de subir une lourde défaite causant la mort d’au moins dix hommes, seraient toujours présents dans le pays. Frontier Services Group, la société de Hongkong fondée par le magnat américain de la sécurité privée Erick Prince, qui a aussi été l’un des protagonistes du scandale de la dette cachée mozambicaine menée sur fond de contrat naval, continuerait à grenouiller dans le pays.

Même bunkérisation rampante menée par les géants de l’énergie fossile présents au Cabo Delgado, dont les français Total (derrière le projet Mozambique LNG) et l’américain ExxonMobil (associé à l’italien Eni dans le projet Rovuma GNL). Ces opérateurs ont l’habitude de travailler dans des zones sensibles, telles que le Delta du Niger. Au Mozambique, le groupe français, qui a repris les actifs du texan Anardako en septembre 2019, aurait constitué une véritable « armée », selon un cadre supérieur de l’industrie pétrolière cité par le chercheur Francisco Almeida Dos Santos. Pour protéger son chantier de la péninsule d’Afungi, où seront édifiés ses deux trains d’usines destinées à liquéfier le gaz extrait en offshore, Total déclare apporter « un soutien logistique aux forces publiques de sécurité affectées à la protection des activités des projets, sous la forme de mise à disposition de véhicules, de logements et d’alimentation ». Trois cents membres supplémentaires des FDS auraient rallié la péninsule d’Afungi. La première entreprise de France, 20e dans le classement Fortune Global 500, travaille aussi localement avec plusieurs EMSP qui « assurent des prestations de logistique, de gardiennage des sites et de consultance » : aux côtés du géant anglais G4S, Total a ainsi engagé quatre autres EMSP. « Compte tenu de l’évolution des activités du projet », précise son service communication, l’entreprise a « récemment lancé un appel d’offres auprès de sept sociétés spécialisées dans la sûreté ». L’EMSP française Amarante fait partie des sociétés consultées dans le cadre de cet appel d’offres. La multinationale française envisage d’entamer l’exploitation de ses gisements en 2024. Début juillet, l’un de ses sous-traitants, la société Fenix Constructions Service, rapportait la mort de huit de ses travailleurs à la suite d’une embuscade tendue par des hommes armés. Depuis le siège de Total à La Défense (Paris), le chef des opérations de la direction Sûreté du groupe, Henry Billaudel, ancien chef de corps de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère de 2004 à 2006, supervise une équipe mozambicaine coordonnée par deux ancien camarades de l’active : Frédéric Marbot (qui travaillait sur les sites du delta du Niger et du Kazakhstan) et Charles Stroeng. Ces derniers seraient en train de monter une nouvelle unité d’intervention en partie composé de troupes mozambicaines assurant la protection du site.

Accaparement des ressources naturelles

Dans un rapport publié ce printemps, l’ONG Les Amis de la Terre - France considère que l’insurrection, qui « s’est construite sur un enchevêtrement de tensions sociales, religieuses et politiques » , est « exacerbée par l’explosion des inégalités et les violations des droits humains liées aux projets gaziers ». Total rétorque que « les motivations de l’insurrection dans la région de Cabo Delgado ne sont pas liées aux projets gaziers. La présence militaire décidée par le gouvernement du Mozambique vise avant tout à protéger les populations face à ces insurrections ». Une majorité de chercheurs mozambicains et étrangers s’accordent pourtant à considérer que la captation des ressources naturelles de la province par des investisseurs étrangers, cooptés par une élite prédatrice, participerait au ressentiment de la population locale, et notamment de sa majorité musulmane. Hilary Matfess et Alexander Noyes, pour le think tank conservateur américain Rand, notent ainsi qu’en dépit des « prétendus liens internationaux » qui auraient été tissés, selon les autorités mozambicaines, par Ansar al-Sunna, « les preuves existantes suggèrent que l’insurrection devrait être considérée principalement comme une conséquence des conditions économiques et politiques locales. Par rapport aux autres provinces, Cabo Delgado est pauvre et ses habitants n’ont pas accès aux services de santé et d’éducation. La propagande des islamistes a capitalisé sur ces disparités, mettant l’accent sur les liens locaux des insurgés ». Rien ne démontre en effet pour l’heure, malgré « l’esprit de corps » médiatique manifesté par l’Organisation de l’État islamique (OEI) vis-à-vis d’Ansar al-Sunna, qu’une internationale islamiste est en train de converger vers le nord du Mozambique.

Lire aussi Stefano Liberti, « Les paysans mozambicains font reculer l’agro-industrie », Le Monde diplomatique, juin 2018.

Le Cabo Delgado, rappelle Francisco Almeida Dos Santos depuis Maputo, fit l’objet, dès le milieu des années 1990, d’un livre blanc gouvernemental réalisé avec la coopération espagnole. Premier du genre initié par le Frelimo, celui-ci listait et analysait en détail toutes les ressources naturelles de la province (eau, minéraux, forêts, terres arables, réserves naturelles…) au profit d’un quarteron « d’investisseurs particulièrement sélectionnés ». Au début des années 2000, les richesses minières, forestières et agricoles de la province commencèrent ainsi à être concédées à des opérateurs étrangers. Moins d’une décennie plus tard, avec la découverte des neuvièmes réserves du monde en gaz — près de 5000 milliards de mètres cube — les multinationales des énergies fossiles entamèrent leurs grandes manœuvres vers ce « nouvel eldorado gazier ». Entretemps, Maputo avait octroyé à la société Montepuez Ruby Mining (MRM), détenue aux trois quarts par le groupe britannique Gemfields, et pour le reste par un « général bien en cour », 36 000 hectares de terre abritant les plus importantes réserves de rubis au monde. La concession d’un district entier de la province à l’opérateur minier fut suivie par une violente campagne d’expulsion de milliers de creuseurs artisanaux menée par les FDS et des gardes mobilisés par les EMSP. Ciblé à Londres par une class action déposées par le cabinet d’avocats anglais Leigh Day pour « graves violations de droits humains » (meurtres, tortures, incendies de maisons…), le groupe britannique Gemfields a finalement accepté de payer 6,7 millions d’euros contre l’abandon de celle ci.

Parmi les EMSP alors accusées, on trouvait la compagnie privée de sécurité Arkhê Risk Solutions, filiale de la société sud africaine Omega Risk Solutions. Cette EMSP est l’une des sociétés aujourd’hui sous-traitée par Total qui « a maintenu l’organisation sûreté mise en place par Anadarko tout en l’adaptant à la montée en puissance des travaux de construction et du démarrage des activités maritimes ». En reprenant les actifs d’Anadarko, Total a aussi hérité d’un contentieux foncier : la société texane aurait procédé à l’expulsion de 5 000 personnes sur le site où doivent être construits les usines de liquéfaction du gaz offshore et le terminal qui accueillera les méthaniers. « La relocalisation des communautés qui se trouvent sur le site de construction de l’usine GNL sur la péninsule d’Afungi n’a pas de lien avec les évènements sécuritaires du Cabo Delgado », déclare-t-on chez Total. Une chose est en revanche sûre : selon le cadastre minier établi par le ministère mozambicain des ressources minérales et de l’énergie, toutes les surfaces de la province, exceptées celles du parc national des îles Quirimbas, sont aujourd’hui concédées à des opérateurs privés, au détriment, constate M. Francisco Almeida Dos Santos, « des intérêts de la population locale dans la petite agriculture, l’exploitation minière artisanale, la récolte des produits forestiers pour la construction, la production de charbon de bois, etc. » « Bon nombre de ces concessions, poursuit-il, appartiennent aux Big Men de la province liés à [Armando] Guebuza, [l’ancien chef de l’État Mozambicain, au pouvoir de 2005 à 2014] et à sa sa famille » .

La colère provoquée par cet accaparement décomplexé des ressources naturelles — et la répression sans discernement menée par les militaires — participerait désormais de plus en plus ouvertement au recrutement de nouveaux insurgés

La province du Cabo Delgado est aussi le carrefour est-africain du trafic d’héroïne (25 % à 30 % de la production afghane y transiterait) et de celui d’êtres humains descendant la côte swahilie vers l’Afrique du Sud. L’insurrection islamiste a bouleversé cette criminalité organisée bénéficiant de protections politiques « qui n’a, là aussi, jamais profité à la population locale », constate M. Francisco Almeida Dos Santos. « Les ressources ont toujours été une malédiction pour le Cabo Delgado », notait, mi-juin, dans l’hebdomadaire indépendant mozambicain Savana, Monseigneur Luiz Fernando Lisboa, l’évêque catholique de Pemba. Particulièrement acerbe avec le pouvoir central, celui-ci déclarait : « Nous avons quelques millionnaires, mais nous sommes l’un des pays les plus pauvres du monde. Toute la richesse doit être distribuée. Une personne, un groupe de personnes ou une entreprise ne peuvent pas profiter à eux seuls de l’appauvrissement des autres. Toute ressource doit être mise au profit de l’ensemble de la population, qui est la première propriétaire de celle-ci(…) ». La colère provoquée par cet accaparement décomplexé des ressources naturelles — et la répression sans discernement menée par les FDS — participerait désormais de plus en plus ouvertement au recrutement de nouveaux insurgés, parmi lesquelles on compterait désormais des femmes et des déserteurs des Forces Armées Mozambicaines (moins bien loties que les FDS). Depuis le printemps, certains groupes rebelles seraient engagés dans une nouvelle stratégie, qui vise à « gagner les esprits de la population », selon M. Joseph Hanlon, fin observateur de la vie politique mozambicaine. En mai dernier, intervenant devant la communauté d’un village brièvement occupé, un groupe d’insurgés expliquait que son objectif était « de montrer l’injustice du gouvernement. Il humilie les pauvres alors qu’il donne les profits aux plus puissants ».

Pour Jasmine Opperman, analyste de l’Acled qui a développé le projet Cabo Ligado avec l’International Crisis Group, « traiter l’insurrection comme une simple menace “terroriste” et ne réagir que par la force risque d’alimenter la propagande des insurgés – et d’être contre-productif (…) Il ne fait aucun doute qu’une certaine forme d’intervention est nécessaire pour éviter que la situation ne devienne incontrôlable. Mais la prudence est de mise. Marcher aveuglément — sans comprendre les complexités en jeu et sans s’attaquer à certains des facteurs socio-économiques qui sous-tendent et exacerbent la violence — pourrait aggraver la situation ». Ces appels à considérer ces facteurs domestiques semblent malheureusement aujourd’hui moins porter que ceux prônant un renforcement de l’engagement militaire face à une « internationalisation » de l’insurrection. Et les EMSP présentes au Mozambique pourraient se révéler n’être que l’avant-garde d’un plus vaste contingent militaire...

Dans un rapport publié en juin, l’Institut Tony Blair pour le changement mondial, dont on a connu la prescience intéressée dans le domaine géopolitique (Irak, Libye…), préconise ainsi que « les acteurs étatiques internationaux » soutiennent « Maputo militairement et logistiquement ». « Ansar al-Sunna, précise-t-on dans le rapport, est en train de perpétrer des attaques à un rythme similaire aux insurrections dans le Sahel, le bassin du lac Tchad et la Corne de l’Afrique ».

Forces armées et mercenaires

Dans les pays de la communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), les appels à venir assister le Mozambique se multiplient, en particulier en Afrique du Sud, visée directement par l’OEI dans un message diffusé par son bulletin de propagande Al Naba. L’ISS (Institute of Strategic Studies), le think tank sud-africain de référence, qui est aussi un peu le baromètre de sa diplomatie, avertit que Pretoria risque de voir l’insurrection continuer à se développer si le gouvernement de monsieur Cyril Ramaphosa renâcle à intervenir. La marine sud-africaine est déjà présente sur place, dans le cadre de l’opération Copper, destinée à lutter contre la piraterie dans le canal du Mozambique. Des forces spéciales, sans doute aussi. Désormais, un « lobby » mené par le chef des forces armées sud-africaines, le général Solly Shoke, pousserait à une plus grande implication de l’Afrique du Sud. Mais un déploiement de soldats, sous couvert de la SADC, est pour l’heure rendu compliqué par la présence des mercenaires de Dag. En intervenant au Mozambique, Dag viole en effet la loi sur l’assistance militaire étrangère de l’Afrique du Sud qui exige que toutes les activités paramilitaires, y compris celles menées en-dehors du pays, obtiennent l’approbation préalable du gouvernement sud-africain. Plus de 1 600 kilomètres séparent également Pemba des premiers poste-frontières sud-africains. Les provinces du Sud de la Tanzanie, également interdites aux journalistes, où des renforts militaires ont déjà été déployés, touchent elles celle du Cabo Delgado. À Maputo, l’ambassadeur de Tanzanie au Mozambique, M. Rajabu Luhwavi, reconnait « essayer de travailler avec le gouvernement (mozambicain) » pour mener des opérations conjointes le long de la frontière avec les différents forces de défense et de sécurité En Tanzanie, plusieurs sources s’inquiètent de voir Ansar al-Sunnah mener des opérations dans les provinces du sud à l’approche d’élections présidentielles, annoncées pour l’automne 2020, qui s’annoncent particulièrement tendues.

Lire aussi Augusta Conchiglia, « Qui a tué Samora Machel ? », Le Monde diplomatique, août 2017.

Du côté de la diplomatie occidentale, Tibor Naguy, sous-secrétaire d’État américain aux affaires africaines, déclarait en mai être pleinement déterminé à ce que l’ambassade des États-Unis à Maputo « et certains partenaires discutent avec les autorités mozambicaines de la meilleure façon de répondre à cette insurrection et d’éviter qu’elle ne devienne ce que Boko Haram est devenu au Nigeria ». La France, que les Amis de la Terre suspectent d’avoir « délibérément fermé les yeux sur les contours douteux de ce contrat naval, au risque de jouer dangereusement avec le taux d’endettement du Mozambique et de se rendre complice de pratiques de corruption », semblerait avoir déjà trouvé cette « meilleure façon » ; elle échangerait déjà des données et de l’imagerie satellite aux FDS dans le cadre de leur campagne de contre-insurrection. Selon l’agence de presse portugaise Lusa, Paris, dont les FAZSOI (Forces armées de la zone sud de l’océan Indien) sont stationnées à la Réunion et à Mayotte, serait par ailleurs en train de négocier un accord de coopération militaire maritime avec Maputo « en vue d’un possible support à des opérations contre-insurrectionnelles ». La rentrée s’annonce chargée pour le diplomate Christophe Bigot, pressenti pour remplacer le swahiliste Remi Maréchaux à la tête de la direction Afrique Océan Indien du Quai d’Orsay.

Ancien de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) comme Rémi Marechaux, Christophe Bigot avait notamment mis sur pied sa cellule de lutte contre Boko Haram dans le bassin du Lac Tchad. Depuis le sommet de Pau en janvier 2020, ce dernier coordonne la réponse internationale dans la bande sahélo-saharienne. « Le gouvernement mozambicain, la France, les États-Unis, et la plupart des pays occidentaux, mais aussi des think tanks tels que la Fondation Blair… tous jouent la carte de la déstabilisation étrangère de manière à ce que l’élite mozambicaine et les compagnies gazières ne soient pas accusées d’avoir refusé de redistribuer la richesse », s’insurge M. Joseph Hanlon. Ce dernier, inquiet, constate que « des sommes croissantes ont été dépensées pour militariser la province et secourir les personnes touchées. Si il y a cinq ans, une partie de cet argent avait été partagée avec les pauvres et les marginalisés du Cabo Delgado, la guerre n’aurait jamais commencé ». Toute la question, précise-t-il, est de savoir désormais « si nous avons atteint un point de non-retour qui va nous entrainer dans la spirale de la guerre ou s’il est encore possible d’associer la jeunesse aux richesses et aux ressources tirées du Cabo Delgado »

Interrogé sur l’éventuelle signature d’un accord de coopération militaire maritime avec Maputo, M. Jean-Paul Lecoq, député communiste de la Seine-Maritime, et président du groupe d’amitié France-Mozambique, se dit « très concerné par l’actualité de ce pays mais ne bénéficie d’aucune information particulière — diplomatique, militaire, économique, etc. — à ce titre » Le brouillard qui enveloppe le sort du Cabo Delgado semble aussi s’être levé en France…

Jean-Christophe Servant

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