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Au Malawi, une victoire de la démocratie… et de la droite évangélique

par Jean-Christophe Servant, 21 septembre 2020
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Mangochi, Malawi, janvier 2020 cc0 Aditya Septiansyah

Le 6 juillet dernier, les 7 millions d’électeurs du Malawi, l’un des pays les plus pauvres du monde, élisaient M. Lazarus Chakwera, 65 ans, à l’occasion de la réorganisation de l’élection présidentielle annulée de mai 2019. Saisie par les partis de l’opposition au nom d’irrégularités constatées dans la tenue du premier scrutin, la Cour constitutionnelle de ce pays d’Afrique australe de 20,5 millions d’habitants, surnommé « The Warm Heart of Africa » (Le cœur chaleureux de l’Afrique) avait invalidé en février 2020 les résultats du vote qui avait vu M. Peter Mutarika, le chef de l’État sortant, l’emporter, avant d’ordonner l’organisation d’un nouveau scrutin.

Lire aussi « Expansion de l’évangélisme », Le Monde diplomatique, septembre 2020.

Saluée comme une « victoire de la démocratie » et « de l’Afrique » par M. Lazarus Chakwera, ce coup de théâtre électoral faisait du Malawi le deuxième pays du continent africain, après le Kenya en 2017, à connaître une invalidation d’élection présidentielle suivie d’un nouveau vote. Mais contrairement à Nairobi, celle du Malawi a permis au challenger de finalement l’emporter. La large victoire de M. Chakwera — plus de 56,8% des suffrages —, survenue après plusieurs mois de tensions post-électorales, est doublement historique car elle replace aussi au pouvoir le parti phare de l’avant et l’après-indépendance de l’ancien Nyassaland, le Malawi Congress Party (Parti du Congrès du Malawi).

Candidat de ce dernier, M. Chakwera s’est associé au vice-président sortant, M. Saulos Chilima, au sein de Tonse (« ensemble », en langue Chichewa), une alliance de neuf partis politiques appuyée par la société civile malawite et l’ex-cheffe de l’État Joyce Banda. « Pour l’heure, le pays est encore en lune de miel avec son président et son nouveau gouvernement » souligne depuis Zomba, M. Boniface Dulani, enseignant et chercheur en sciences politiques et directeur des opérations d’Afrobarometer. « Pour le Malawi et sa société civile, poursuit il, il s’agissait d’abord d’en finir avec le régime corrompu de M. Mutarika, dont la fin de règne a été marquée par la répression. Ainsi tout en étant un parti conservateur de droite, le retour au pouvoir du MCP est moins motivé par des raisons idéologiques qu’un profond rejet du président sortant. Mais passée cette lune de miel, il faudra bien que les Malawiens commencent à y regarder de plus prés ». « La large contribution de la société civile dans la victoire de M. Chakwera ne doit pas l’absoudre de continuer à demeurer vigilante » souligne depuis le Tennessee son compatriote, le théologien et enseignant James Tengatenga, figure africaine de l’église anglicane, qui présida entre autre jusqu’à 2016 le Conseil consultatif anglican (ACC) qui joue le rôle d’organe permanent de coordination entre les Églises membres.

Avant les élections présidentielles , M. Tengatenga avait publié une étude alarmante où il constatait qu’« une nouvelle politique religieuse affirmée ressemblant étroitement à la majorité morale américaine des années 1970 et 1980 a trouvé un terrain fertile en Afrique. Il prend racine dans certains groupes non confessionnels, insufflant à son tour des opinions conservatrices religieuses radicales jusqu’ici inconnues dans la politique africaine »… Au Malawi, relevait-il dans la même étude « l’évangélisme chrétien s’est engagé plus activement dans la société civile, créant un nouveau profil parmi les jeunes diplômés des universités locales. Certains jeunes militants ont été formellement formés dans des universités chrétiennes américaines, tandis que d’autres se sont initiés à la théologie grâce aux télévangélistes des chaînes satellite ». Pour M. Tengatenga, « le discours des prédicateurs et des dirigeants évangéliques fondamentalistes dénonçant la faillite morale du libéralisme pour prôner une politique de droite craignant Dieu s’est imposé parmi la jeunesse du Malawi ». Et d’estimer que « le Malawi pourrait emprunter une nouvelle politique religieuse affirmée. Si cet agenda de droite réussit, un moment est prévisible où la citoyenneté sera assujettie à la coercition religieuse, et les droits ne seront exercés que lorsqu’ils correspondent à cet agenda aussi étroit ( …) Les gens qui ne s’y conforment pas deviendront des étrangers dans leur propre pays, privés peut-être même du droit de vote — l’essence même de la participation démocratique ».

Vigilance

L’itinéraire de Lazarus Chakwera invite ainsi, a minima, à faire preuve de vigilance. Ce dernier est entré en politique en 2013 pour devenir le leader du Malawi Congress Party afin « de répondre à l’appel de Dieu » lui demandant « d’exercer [son] ministère à la nation entière ». Auparavant, M. Chakwera avait dirigé pendant vingt-quatre ans et contribué à l’émergence de la branche malienne des « Assemblées de Dieu », 1 696 églises pentecôtistes et néopentecotistes du pays qui réunissent aujourd’hui 10 % environ des pratiquants du Malawi. Cet itinéraire religieux, attestant de la poursuite du tournant sociologique des élites dirigeantes du continent (lire le dossier de ce mois) avait commencé quelques années plus tôt par une formation au conservateur Haggai Institute, installé en Georgie, dans la Bible Belt Américaine, dont la mission est de former les nouveaux dirigeants chrétiens du monde entier et de « leur fournir une formation culturellement pertinente », sur le modele des objectifs et stratégies d’évangélisation pensées par la Conférence de Lausanne initiée en 1974 par Billy Graham, le révérend ultraconservateur, et l’une des icônes de la droite chrétienne américaine des années 1980. L’entrée en politique de M. Chakwera, souligne James Tengatenga, correspond à la période où les églises évangélistes et pentecôtistes du pays, jusqu’alors en marge des affaires politiques du pays, entamaient leur aggiornamento. Jusqu’alors, seules les responsables catholiques, anglicans et presbytériens du Malawi avaient pris part à la vie politique du pays, en particulier lors de la campagne du début des années 1990 en faveur du multipartisme.

Celle qui a amené M. Chakwera au pouvoir, explique M. Tengatenga, a été accompagnée par un déchaînement enthousiaste, sur les réseaux sociaux, des principales églises évangélistes et pentecôtistes du pays, du continent, mais également des États-Unis. Franklin Graham, le fils de Billy Graham, a salué la victoire de ce dernier. Même soutien sans faille de la chaine internationale Christian Black Network, basée à Virgina Beach, et fondée par le fondamentaliste chrétien américain Pat Robertson. Un mois après avoir été investi président, Lazarus Chakwera, qui a conservé de son éducation spirituelle aux États-Unis un fort accent américain, accordait d’ailleurs un entretien exclusif à la branche africaine de cette dernière. L’entretien se termine par trois minutes de prière…

Lire aussi Anouk Batard, « La “République pentecôtiste” du Nigeria », Le Monde diplomatique, septembre 2020.

Selon son porte-parole, le pasteur Sean Kampodeni, M. Chakwera « ne souhaite pas transformer le Malawi en théocratie ni faire œuvre de prosélytisme ». Contrairement à la Zambie voisine, ou le statut de « nation chrétienne » a été inscrit en 1996 dans le marbre du préambule de sa Constitution, le Parlement du Malawi n’a jusqu’alors jamais franchi ce pas, se contentant de déclarer que le pays est une nation « qui craint Dieu ». On attendait donc avec intérêt le premier discours à la nation du président Chakwera, adressé le 4 septembre à l’occasion de l’ouverture de la 49e session parlementaire du Malawi. Ce jour-là, le chef de l’État a évité de parler des sujets de société qui rencontrent une forte hostilité de la part des églises catholiques, protestantes et des organisations représentant la minorité musulmane, estimée à 13,5 % de la population nationale : aucune référence n’a été ainsi faite au devenir du projet de loi, contesté depuis 2015, visant à libéraliser et faciliter l’avortement. Excepté si la grossesse menace la vie de la mère, celui-ci reste interdit au Malawi, sous peine d’encourir jusqu’à 14 ans d’emprisonnement. En revanche, dans le cœur du discours présidentiel, une séquence diplomatique est passée largement inaperçue par les Malawiens, avant d’être reprise par la presse centriste et conservatrice israélienne : l’éventuelle ouverture à Jerusalem d’une ambassade du Malawi.

Le Malawi pourrait devenir la première nation du continent à ouvrir une ambassade diplomatique à Jérusalem

Selon l’interprétation littéraliste des textes bibliques menée par les milieux évangélistes, et leur eschatologie, Jerusalem est en effet la seule capitale d’Israël et doit jouer un rôle prépondérant à la « fin des temps ». Si une telle décision était actée par le Parlement du pays, le Malawi pourrait ainsi devenir la première nation du continent à ouvrir une ambassade diplomatique dans la ville sainte. « Personne n’attendait cette annonce qui a surpris tous les observateurs, souligne M. Boniface Dumani. C’est clairement une décision prise dans le premier cercle de la présidence — ou l’on note une forte présence de pentecôtistes — et vraisemblablement une promesse faite aux milieux américains qui ont soutenu sa candidature. C’est aussi une façon de s’affirmer vis vis a vis du gouvernement israélien ». « Car n’oublions pas, poursuit il, qu’après la guerre [israélo-arabe] de 1973, le Malawi fut un des très rares pays du continent [avec le Lesotho et le Swaziland] à maintenir ses relations avec Israël, jusqu’à devenir le seul pays d’Afrique subsaharienne dont les citoyens peuvent se rendre sur place sans effectuer une demande de visa ». « Mais je me demande, conclut le chercheur, si le président a réellement pris conscience des conséquences que pourrait provoquer une telle déclaration au Malawi, en particulier sur les Malawiens de confession musulmane »…

Le soutien d’une société civile issue d’horizons confessionnels différents — et la présence au sein de Tonse de partis plus « libéraux » — limite les risques d’une dérive religieuse du pouvoir en place. Il faudra suivre en revanche la nouvelle diplomatie internationale du Malawi, qui est une prérogative du président, et ce qu’il s’agisse de ses relations avec Israël où avec les États-Unis et le Royaume-Uni, ses deux principaux partenaires commerciaux et pourvoyeurs d’aide publique internationale, mais également avec le Mozambique voisin, confronté à « l’irakisation » du Cabo Delgado. Les relations de Blantyre et de Maputo, longtemps entachées par le soutien du régime d’Hastings Banda (1) à la guérilla anti-marxiste de la Renamo et la poursuite de ses relations avec le régime d’apartheid sud-africain, demeuraient peu cordiales jusqu’à l’élection de Lazarus Chakwera. Dés son arrivée au pouvoir, ce dernier a manifesté à son homologue mozambicain, le président Filipe Nyusi, son souhait de mettre l’accent sur la coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité et de combattre la violence armée.

Dans une dépêche publié à la fin des années 2000, Paul Simao, journaliste à l’agence Reuters, constatait : « S’il existait une Bible Belt en Afrique, le Malawi serait sa boucle ». Treize ans se sont depuis écoulés. « On ne peut s’empêcher de reconnaître que les liens que ce mouvement entretient avec la ceinture biblique américaine ne sont pas de bon augure pour l’avenir, soulignait en 2018, dans son étude, M. James Tengatenga. La nouvelle affirmation des musulmans vient s’ajouter à cette inquiétude. Que se passerait-il si les musulmans répondaient à l’affirmation des chrétiens en essayant de former leur propre parti politique ? S’ils étaient poussés hors de la sphère publique et loin de la part du gâteau qu’est le Malawi, pourraient-ils embrasser l’islam radical ? Après tout, Al Shabaab a déployé ses muscles jusqu’au Mozambique voisin… »

Oui, même si le Malawi reste un angle mort de l’actualité panafricaine, et l’un des pays les plus pauvres du continent, il faudra rester vigilant...

Jean-Christophe Servant

(1Premier président du Malawi de 1966 à 1994.

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