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Aux armes et cætera

par Xavier Monthéard, 9 mai 2019

«Tu as virgulé à cet endroit ? Mais pourquoi ?! » La question venait des tripes. Bientôt un doigt vengeur a montré l’objet du litige. La phrase allait ainsi : « L’hostilité au "populisme", à la Russie, à l’extrémisme, etc., continuera sans doute à alimenter de nouveaux votes en faveur de M. Emmanuel Macron. » Sur la page rougie, le correcteur en première avait formulé une requête que son collègue, en seconde, contestait. La virgule ajoutée après « etc. » était-elle indispensable ou inutile ? tout à fait juste ou tout bonnement fautive ?

Rappelons pour ta gouverne, lecteur, quelques vérités à propos de la locution « et cætera », également orthographiée « et caetera » ou « et cetera », toujours remarquablement vivace quoique issue du latin médiéval. Elle s’écrit le plus souvent « etc. », avec un point final qui marque l’abréviation — pas besoin de points de suspension, lesquels signifient « ainsi de suite » et seraient redondants. Autant que possible, on prend garde à ce qu’elle ne se retrouve pas en début de ligne. On ne la répète pas, on ne la met pas en italique et on la fait toujours précéder d’une virgule.

Sur cela bien sûr chacun s’accordait. Le grand débat était ailleurs : virgule ou pas virgule après « etc. » ? Côté oui, on considérait que la locution était mise en incise, que la virgule antérieure impliquait la virgule postérieure, de même que l’inspiration ne va pas sans l’expiration ; bref, qu’elles faisaient office de parenthèses, nécessairement en couple. Côté non, on estimait que « etc. » remplaçait le dernier membre de l’énumération et qu’une virgule ne doit pas séparer le verbe du sujet ; en l’ajoutant, on contrevenait aux règles les plus élémentaires de la grammaire. Les deux parties juraient qu’elles avaient toujours vu la profession procéder à leur façon.

Dans notre métier, toute divergence d’interprétation pose un problème redoutable. La correction n’est pas la traduction. Elle ne se préoccupe pas de style, n’est pas censée laisser de jeu dans la langue. Alors, si deux correcteurs se trouvent en désaccord, les fondements du Texte sont ébranlés, l’Autorité vacille — enfin, surtout la leur. Selon son humeur, quand la rédaction est témoin de telles incertitudes, elle retient son souffle, s’en amuse... ou soupire.

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Discussion cordiale entre correcteurs.

Les joutes sont parfois épiques. La notoire « mauvaise foi du correcteur » exprime-t-elle ses certitudes bafouées ou bien l’outrage fait à la langue ? Je laisse de plus savants que moi en décider. Quoi qu’il en soit, j’ai souvent vu des relecteurs se comporter en sophistes ; de débonnaires Pères la Virgule se métamorphoser d’un coup en intraitables Mères Fouettard (ou l’inverse) ; des camarades prêts à s’écharper, coqs tellement montés sur leurs ergots qu’ils se seraient presque envoyé des noms d’oiseaux à la figure. C’est la folie de l’escalade. « Aux armes et cætera », chantait Gainsbourg.

La virgule litigieuse ne devait pas entraîner le cassetin dans de telles extrémités. Il fallait consulter d’urgence. Pour solder leur différend, les deux camps s’en remettraient aux bibles du métier. Ô manuels sévères, nous ne vous avions pas oubliés, depuis que vos savantes leçons, plus douces que le miel, avaient filtré dans nos cœurs, comme une onde rafraîchissante. De vous viendrait assurément le salut !

Eh bien, non. Que tchi. Nada. Tous se contrefichaient de notre satané problème. Ni le code typo ni l’Imprimerie nationale ne se posaient la question de la virgule après « etc. ». Et pas davantage Lacroux et Colignon. Grevisse était aux abonnés absents ; Drillon, muet. C’en était à se demander si l’emploi de cette locution au sein d’une phrase plutôt que pour la conclure était correct. Par acquit de conscience, nous sommes allés à la pêche sur Internet. Ah, Internet... On y trouve de tout, rarement avec des garanties. Notre cas ne faisait pas exception. Comme de juste, les opinions se contredisaient. On tournait en rond.

L’heure tournait, elle aussi. Pour résoudre notre dilemme, le plus sage a été de s’en remettre à l’adage de Marcel Duchamp : Il n’y a pas de solution, parce qu’il n’y a pas de problème. Les correcteurs apprennent avec l’expérience que, quand leur désaccord est irréductible, leurs avis se valent généralement. Ils tranchent alors à l’intuition. Au-delà de la rhétorique. Au-delà des tables de la Loi. De même qu’il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, il fallait que la virgule soit laissée ou ôtée. Elle est restée.

Références

 Serge Gainsbourg, Aux armes et cætera, Mercury, 1979.
 Syndicat national des cadres et maîtrises du livre, de la presse et des industries graphiques, Code typographique.
 Imprimerie nationale, Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale, 2002.
 Jean-Pierre Lacroux, Orthotypographie, La Part de l’ange, 2007.
 Pierre-Valentin Berthier et Jean-Pierre Colignon, Lexique du français pratique, Solar, 1981.
 Maurice Grevisse, Le Bon Usage, Duculot, 1993.
 Jacques Drillon, Traité de la ponctuation française, Gallimard, 2005.

Xavier Monthéard

@TypoDiplo

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