L’enfance brisée, mais qui cherchera à se libérer... Il y eut au festival « off » d’Avignon nombre de pièces traitant de la domination adulte ou des souffrances familiales. Comme le viol de trois sœurs par leur grand frère. Nolwenn Le Doth boxe sa souffrance et sa honte avec tant de punch qu’elle risque de déchirer la toile tendue derrière elle, celle d’un chœur de huit femmes. La honte, c’est le premier sentiment des victimes tant qu’elles ne sont pas entendues. La justice fait la sourde oreille, le théâtre fait entendre les faits. Dans Chevaleresses, Nolwenn Le Doth devient chevalier pour rendre justice. C’est « scotchant », comme disaient naguère les enfants.
Dans la clinique où a travaillé la psychanalyste Claudine Hunault, on souffre de son poids.
« J’ai perdu 18 kilos, les frites et l’huile partout c’est plus possible, ça devient invivable ma mère mon père mon frère ils sont tous obèses, ils supportent pas de me voir manger autre chose, mon frère et mon père ils deviennent violents, ils se moquent de moi à tous les repas, ils balancent des frites dans mon assiette, c’est trop dur, il va falloir que je parte. ». Claudine Hunault soutenue par une flûte traversière raconte la souffrance de ceux qui mangent pour vivre dans Je me petit-suicide au chocolat. Elle raconte le désir et sa béance, ses contours. Un saisissement.
L’enfance brisée frappe à la porte avec Les enfants du diable, ceux de Roumanie. En 1966, le couple Ceausescu interdit contraception et avortement pour les femmes n’ayant pas au moins quatre enfants. Si ceux qui naissent ne sont pas désirés, ils peuvent être placés dans les orphelinats qui ouvrent alors dans tout le pays. Un impôt est créé pour toute femme de plus de 26 ans qui n’est pas mère. Niki et sa sœur Veronica sont les anciens pensionnaires d’un orphelinat. « Pour vivre, on se balançait d’avant en arrière. » Devenus adultes, ils se déchirent autour du destin de leur sœur Mirela, enfant autiste, qui fut placée dans les casa de copii (« maisons d’enfants »), sortes de Disneyland inversés où les mineurs étaient battus, mal nourris et attachés aux barreaux quand ils étaient handicapés. Veronica, elle, a été adoptée. En France, à l’école, elle continuera à longer les murs comme elle le faisait en Roumanie.
La batterie et les percussions comme symbole de libération de l’enfance : on en trouve le thème dans Caravan, du nom du morceau de Duke Ellington. Quatre musiciens talentueux et une chanteuse sont houspillés par le patron du Dixieland club, où ils jouent. Le nouveau batteur, personnage inspiré par celui du film Whiplash, est bizuté mais devient le génie du groupe. L’écriture doit beaucoup au cinéaste Damien Chazelle et à l’univers de Pixar. On pense parfois à Keith Moon, du groupe The Who, qui inspira le batteur fou du Muppet Show.
Accordéoniste, Michèle Bernard, la musicienne rouge et noire qui avait composé un album autour de Louise Michel (L’oiseau noir du champ fauve : cantate pour Louise Michel, 2004), s’était lancée en chansons dans l’après-Mai 68. Sa voix sublime a fait le reste. Aujourd’hui, qui se souvient de son amitié avec Anne Sylvestre, revenue en grâce à la faveur du féminisme renaissant ? Avec les talentueux Nicolas Frache, David Venitucci et Pascal Berne, elle joue Miettes où quelques piques plairont aux anti-tech et anti-pass sanitaire comme J’veux pas de puces.
Julien Joubert ne se prend pas pour André Manoukian en matière d’histoire de la musique. Dans Une histoire de la musique en 70 minutes, il se débrouille très bien tout seul pour nous la raconter. C’est bien simple : tout est dans Bach ! L’avant et l’après, la monodie, la quinte, la consonante, le romantisme ou le dodécaphonisme. Il amuse le public, même avec Franz Liszt qui demande, si j’ai bien compris, trois mains à son interprète. On découvre Hildegarde Von Bingen ou Guillaume Dufay, compositeur du XVe siècle, sans fatiguer. Un professeur de musique comme lui, il en faudrait toute une gamme dans les écoles.
Chevaleresses de Nolwenn Le Doth, Compagnie Francine & Joséphine, Théâtre des Carmes — André Benedetto.
Je me petit-suicide au chocolat de Claudine Hunault, d’après le livre éponyme paru au Nouvel Attila (Paris, 2023), Judith Productions, Théâtre Transversal.
Les enfants du diable de Clémence Baron, Compagnie La Baronnerie, Théâtre de l’Oriflamme.
Caravan de Pierre Duchesne, Compagnie Crescendo, Théâtre de l’Arrache-Cœur.
Miettes de Michelle Bernard, Compagnie Vocal 26, Théâtre de l’Arrache-Cœur.
Une histoire de la musique en 70 minutes de Julien Joubert, Compagnie Let it be, Théâtre de l’Oriflamme.
