En kiosques : novembre 2025
Abonnement Faire un don
Accéder au menu

Avignon, premier épisode : « Faites tourner ! »

Du 5 au 26 juillet, Avignon accueille la 59e édition du festival « off ». Tour d’horizon des spectacles à haute teneur politique à ne pas manquer dans la cité des Papes — ou à découvrir en tournée.

par Christophe Goby, 18 juillet 2025
JPEG - 31.1 kio
L’art d’avoir toujours raison © Louise Ajuste

L’affiche de Génération Mitterrand, ce sont dix lettres à cheval sur dix autres. Un léger décalage. Une main d’homme en costard-chemise blanche tient la main d’un bébé. Le visuel sort des bureaux de Jacques Séguéla, publicitaire en chef et apôtre de la Rolex. François Mitterrand pour sa seconde campagne se prend pour un sphinx, mais c’est la prostate qui est cassée. Il va surpasser enfin la légende du grand sauveur, celle du général de Gaulle, du moins en longévité, alors même que depuis son élection, il trompe les Français sur sa santé. Mitterrand-Tonton aura été comme tous les rois, un menteur habile.

Lire aussi Bernard Cassen, « Les socialistes français et la contrainte européenne », Le Monde diplomatique, juin 1988. La pièce commence avec sa victoire un dimanche de pluie de 1981. Trois personnages. Ils ont tous voté Mitterrand. Ils se rappellent l’euphorie de 1981. Et la suite. À Belfort, où on a crié sa joie à la permanence du PS et chanté Renaud, Michel, rescapé du monde ouvrier trahi par la gauche, finira par voter Le Pen en 2022. Un poncif, peut-être, mais parfois tristement vrai. À Paris, Marie-France, une journaliste jouée par l’irrésistible Hélène Rencurel. Luc, le prof de Vénissieux, chandail rouge, costume marron et petite barbe, qui aujourd’hui vote Mélenchon. Tant de naïveté alors… mais tout le monde n’a pas lu Machiavel. Le propos est ailleurs, qui raconte ces gens qui furent pleins d’espoir, et alterne avec ce qui se trame dans les lieux du pouvoir : Hubert Védrine, le conseiller du prince, insulté par un Mitterrand qui souffre mais ne perd pas son génie de la diversion. La manipulation de l’extrême droite et l’utilisation de SOS Racisme apparaissent comme des coups de maître, Le Pen deviendra l’idiot utile de sa réélection, avec son consentement. Et 35 députés.

Des nationalisations et du ministère du temps libre, « ou celui des branleurs », à la débâcle des municipales de 1983, chacun raconte son parcours. Marie-France, ex-situationniste, finira sur le plateau d’Yves Calvi où elle affrontera Éric Zemmour, interprété par un Mathieu Metral tout en aisance. On retrouvera les dates marquantes, la « Marche des beurs » de 1983, la « Fête des potes » à la Concorde en juin 1985 et les assassinats en série de Maghrébins, dont Malik Oussekine en 1986, alors que le natif de Jarnac cohabite avec la droite. Dans le pire peut-être qu’aura produit l’époque, la télévision allumée sans discontinuer. Le décervelage du peuple a commencé.

Autre spectacle de la saga Huit rois (nos présidents), Le Dîner chez les Français de V. Giscard d’Estaing. Le président, sorte d’ovni qui la joue « aristo » vient, avec sa femme, dîner chez une famille où toutes les contradictions françaises s’affrontent. Le repas durera sept ans… Ils tentent d’expliquer l’inflation. Mais ce que l’épouse de Giscard et Michel, joué par Clovis Fouin, qui chante Il ne rentre pas ce soir d’Eddy Mitchell avec une conviction étonnante, ont en partage, c’est l’antiféminisme. Si Philippe Canales est une réincarnation de « VGE », le rôle de Marie-France devenue une féministe enragée est proprement décoiffant. Ce Dîner propose par la table une métaphore de la société. On reprendrait bien de la soupe au cresson mais pas du Barre...

Lire aussi Laurent Bonelli, « En 1789, subversifs malgré eux », Le Monde diplomatique, mai 2009. Il y a la grande histoire et celle des humbles, dont celle des sans-culottes de 1789. L’Abolition des privilèges par Bertrand Guillot (1) et Hughes Duchêne trace un parallèle entre la fameuse « Nuit du 4 août » 1789 et ce qu’on nomme parfois le privilège blanc. C’est un exploit que raconter cette nuit entre la montée au perchoir du vicomte de Noailles et la surenchère de la noblesse et du clergé pour supprimer ce qu’on appelait les privilèges, ceux de la naissance notamment. Était-ce une manœuvre pour sauver les châteaux en flammes ou une façon de faire advenir la bourgeoisie ? Le narrateur-acteur, Maxime Taffanel, vif comme un gazetier, est de tous les rôles, d’Adrien Dusquenoy, avocat, élu de Lorraine, à De Kerangal, marchand de toiles, élu de Bretagne. Il évoque la presse qui s’est donné sa liberté toute seule. Tout va très vite comme une bourrasque dans Paris déchaîné. Il saute d’un curé qui voit dans la révolution un complot protestant à un noble comme le duc de Châtelet, l’air féroce, qui a failli perdre la vie en juillet et reste l’un des plus gros propriétaires français.

Faire commune raconte en tableaux historiques et chantés la ville ouvrière de Malakoff. Sur un fond où sont projetées des photos d’époque, on se chamaille sur les moments forts de l’histoire populaire. Pourra-t-on tout traiter ? De la Commune de Paris, dont plusieurs membres vont devenir des figures importantes de Malakoff, aux grèves de 1936, les acteurs et actrices chantent la Semaine sanglante (du 21 au 28 mai 1871) et la huelga (la grève) pour associer les combats de la guerre d’Espagne aux luttes du Front populaire. Ces tableaux sont entrecoupés par des échanges de plateau télévisé où un historien en connivence avec le présentateur se gausse du bas peuple, de ses grosses moustaches et de ses merguez. On rappelle que Malakoff en 1925 est la première ville à avoir une conseillère municipale, Augustine Variot, qui siège un an puis en est empêchée par la police. Le vote des femmes n’est toujours pas autorisé… Enfin, en 1963, des familles de Malakoff accueilleront des enfants de mineurs lors des grandes grèves (unitaires et victorieuses) du bassin minier.

Les mineurs, on les retrouve dans Gueules noires. À Avion, en 1965. Explosion dans la fosse 7 qui coûta la vie à 21 d’entre eux. Décor réaliste, bennes, rails, soutènement. Une poche d’air à 300 mètres de fond. Ils sont deux à y être bloqués. Ahmed, jadis professeur à l’université de Tlemcen, a fui l’Algérie – il a tué son oncle membre du FLN qui tentait de violer sa femme. Avec un porion (contremaître) polonais, ils se racontent leurs vies, dépendances et cuisines, dialogues vifs, drôles, prenants, pour dire ce qui compte, de leur existence, du travail, exténuant. La première vague immigrée de mineurs fut une marée de Kabyles et de Polonais après la catastrophe de Courrières de 1906, et ses 1099 morts. Les deux acteurs Kader Nemer et Erwan Orain sont enfants de mineurs.

L’art d’avoir toujours raison se veut une formation sur les techniques pour accéder aux fonctions électives, jusqu’au plus haut niveau. Deux solutions, assènent les deux conférenciers devant un PowerPoint : remporter l’élection ou faire un coup d’État. Les probabilités de réussite de la seconde hypothèse étant faibles, reste la victoire aux élections. D’ailleurs pour réussir un coup d’État, il faut être président, affirment les conférenciers, citant l’exemple de Napoléon III. La pièce se moque de l’« ascenseur social et aventure spatiale » chers au persévérant candidat Jacques Cheminade, raille les éditorialistes et piliers de comptoirs télévisés, en nombre et bien conservateurs, tels que Julie Graziani, aussi rétrograde et perchée que Sarah Saldmann (voir le film de François Ruffin Au boulot). Gérald Darmanin avait utilisé Alexandre Dumas pour passer la brosse à reluire à sa police. Le comédien Sébastien Valignat reprend la citation : « Un pays sans police est un grand navire sans boussole et sans gouvernail ». Mais lui va jusqu’au bout du texte de Dumas : « D’où vient, donc, alors, que, pour occuper cette fonction importante (…) on choisit d’ordinaire des idiots de la plus laide espèce ? D’où vient cela ? » Effet boomerang réussi. Une compilation d’affiches électorales qu’on croirait sorties des livres de Zvonimir Novak (2) achève de faire rire aux éclats : celle de la candidate FN Monique Führer est un triomphe.

Christophe Goby

(1Bertrand Guillot, L’abolition des privilèges, Les Avrils, Paris, 2022.

(2Lire « À voté », Le Monde diplomatique, Mars 2020.

À suivre sur les sites respectifs, pour les dates de tournée à venir :

Génération Mitterrand et Le Dîner chez les Français de V. Giscard d’Estaing, Compagnie des animaux en paradis, Théâtre du Train bleu.

L’Abolition des privilèges, de Bertrand Guillot et Hugues Duchêne, Le Royal velours, Théâtre du Train bleu.

Faire Commune, de Garance Guierre et Leonor Stirman, Compagnie MégaloCheap, Théâtre de l’Arrache- Cœur.

Gueules noires, d’Hughes Dusquene et Kader Nemer, 3x8 Production, Théâtre du roi René.

L’Art d’avoir toujours raison, de Sébastien Valignat et Logan de Carvalho, Compagnie Cassandre, Théâtre 11.

Partager cet article