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Numéro un

Brèves Hebdo (1)

par Evelyne Pieiller, 27 février 2020
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Le « déploiement » ( un terme qui vous a comme un air militaire) du Système d’information Billetterie plus connu, quand il est connu, sous l’acronyme SIBYL (un terme qui vous a comme un air prophétique) va imposer prochainement à l’ensemble des entreprises de spectacle vivant de mettre « à disposition du ministre » quelques données : le prix du billet, le titre du spectacle, le lieu de la représentation… Ces données doivent permettre d’« améliorer et piloter la politique du spectacle vivant, notamment en matière de diffusion et d’élargissement des publics. » Restons simples : il s’agit d’infléchir l’attribution des subventions vers les propositions rentables, celles qui font du chiffre. L’inusable cause de la démocratisation culturelle est un bonheur pour les démagogues.

Lire aussi Olivier Neveux, « Misères du théâtre politique », Le Monde diplomatique, mai 2019.

La direction de l’Académie des Césars (un terme qui vous a comme un air gréco-romain) vient de se saborder avec un bel ensemble : il est vrai qu’elle était attaquée dans Le Monde (10 février) par 400 membres de la susdite Académie, qui lui reprochaient d’avoir mis en place un système opaque, régi par « un club de personnes cooptées ou désignées au compte-gouttes », et qui ne reflète pas la « vitalité »  du cinéma français. Ce que le CNC, qui engage avec célérité une concertation pour une rénovation rapide de la gouvernance des Césars, a immédiatement traduit par « représentativité, diversité, parité ». Les Césars vont donc très certainement enfin pouvoir refléter. Et continuer à inscrire l’idée qu’une œuvre n’a de valeur artistique que si elle récolte des bons points d’une profession miraculeusement à l’abri des normes du goût dominant et des impératifs économiques. On en reste tout ému.

Une anthologie récente de quelques-uns de ses textes permet de saluer un bel oublié, un obstiné qui s’est battu toute sa vie pour qu’avance concrètement la possibilité « communiste », telle que la concevaient notamment les « socialistes utopiques » comme Étienne Cabet. Maurice Lachâtre (1814-1900), fils d’un baron de l’Empire, mais qui choisit de laisser tomber la particule, libraire-éditeur, lexicographe, auteur, prit part à la Révolution de 1848 et soutint la Commune, fut l’ami de Louis Blanc et de Pierre-Joseph Proudhon, passa un temps certain en exils divers et à accumuler les condamnations à la prison. Il fit naître une « commune modèle » en Gironde, riche d’une banque communale de crédit mutuel, de deux écoles, d’un dispensaire, d’une caisse de retraite, tout en vendant aux habitants ses terres à des conditions qui leur permettent à tous de les acheter. Mais il mène son combat aussi par les livres. Il s’adonne d’abord avec passion à de savants ouvrages anticléricaux, ce qui n’est pas bien vu. Puis il publie Les Mystères du peuple, d’Eugène Sue. Ouvrage saisi et détruit. Il rédige un Dictionnaire du peuple, qu’il choisira finalement d’appeler Dictionnaire universel, où apparaissent le « féminisme », le « mutualisme », qui préfère détailler les « hommes utiles » plutôt que les personnages célèbres. Gros succès clandestin. Ouvrage saisi et détruit. Il publie Le Capital en français — seule traduction révisée par l’auteur. Il continue. Il tourne spirite, il se rapproche de l’anarchisme. Il continue.

Il faut des dédaigneux des facilités de carrière qu’offre le choix des thèmes en vogue à l’Université pour nous rappeler l’existence de ces hommes d’honneur, intellectuel et moral, qui ont contribué à vivifier le refus des inégalités et de l’exploitation. Remercions donc ici François Gaudin, docteur en histoire, pour son Maurice Lachâtre (1814-1900), éditeur socialiste, aux éditions Lambert Lucas (2014), et son anthologie Ni dieux ni prêtres, PURH, 2019. On en sort modeste et démélancolisé.

Evelyne Pieiller

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