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Numéro deux

Brèves Hebdo (2)

par Evelyne Pieiller, 5 mars 2020
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Henri Fantin-Latour. — « Coin de table », 1872. À gauche, Verlaine, puis Rimbaud.

Notre ministre de la culture se révèle, de façon inattendue, intrépide. Il a tenu à souligner, à propos des nominations des Césars, qu’« on ne doit pas faire un mélange entre les œuvres et les artistes — en tous cas les hommes qui sont des artistes — parce qu’une œuvre doit être protégée. Je suis le garant de la liberté de création et de l’accès libre aux œuvres de l’art et de l’esprit. » C’est beau. Ce n’est pas vraiment nouveau, mais c’est beau. Évidemment, on peut se demander ce que signifie l’énigmatique « les hommes qui sont des artistes ». Il est peu probable qu’il ait voulu dire qu’en revanche on peut faire le mélange s’il s’agit des femmes. Le mystère restera tout vibrant.

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Franck Riester à Bayeux en 2019 cc ActuaLitté

M. Riester est plus clair quand il souligne qu’attribuer à Roman Polanski le César du meilleur réalisateur serait « un symbole mauvais par rapport à la nécessaire prise de conscience que nous devons tous avoir dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, c’est à chacun des votants (…) de prendre ses responsabilités ». C’est exact : Polanski est devenu un « symbole ». Est-ce que cela légitime pour autant une prise de parole, du ministre de la culture, mélangeant l’homme et l’œuvre ?

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À bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960.

La rédaction des Cahiers du Cinéma vient de démissionner en bloc, à la suite du rachat de la revue notamment par huit producteurs (dont le fondateur de Why Not Productions — De battre mon cœur s’est arrêté, Moi, Daniel Blake —  ou encore Toufik Ayedi et Christophe Barral — Les Misérables — etc.), ainsi que par Xavier Niel et Alain Weill (propriétaire de BFM TV), tandis qu’est nommée directrice générale la déléguée générale de la Société des réalisateurs de films. Dans un communiqué, la rédaction souligne que la revue est incitée à devenir « chic et conviviale » et à renouer avec le cinéma français. Autrement dit, il lui est suggéré de défendre les productions des propriétaires, et d’éviter les polémiques. La rédaction entend défendre « une revue critique engagée », et choisit, « à l’heure où toute la presse a été rachetée par les grands des télécoms, et les patrons de Meetic, de Free, de BFM jouent aux business angels » de refuser « cette concentration dans les mains des mêmes de titres jadis libres » : elle se retire. C’est à saluer. Le ministre de la culture s’est quant à lui félicité publiquement de ce rachat (1).

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Verlaine par Félix Vallotton, 1896.

Au long d’articles, de notes, ou de son essai « Les poètes maudits », Verlaine commente, détaille, promeut, salue Rimbaud (2). C’est vivifiant. On connaît l’histoire. Liaison mouvementée entre l’adolescent inconnu, arrivant de province, à l’automne 1871, et son aîné de dix ans, fraîchement marié, qui était resté fonctionnaire à l’Hôtel de Ville pendant la Commune, qu’il soutenait — il fut ensuite promptement radié. Il a fui Paris pour échapper à la répression versaillaise. Rimbaud a été enthousiasmé et bouleversé par la Commune. Il envoie deux poèmes à Verlaine, qui, lui, a déjà publié deux recueils, Fêtes galantes et Poèmes saturniens. Verlaine lui dit de venir, Rimbaud se débrouille pour revenir à Paris. Ils vont vivre ensemble avec une certaine fureur, on passe les crises et les coups de revolver. Ce qui est assez retournant, c’est comment Verlaine va s’obstiner à faire connaître Rimbaud (« eussions-nous consulté Rimbaud (…), il nous aurait, c’est probable, déconseillé d’entreprendre ce travail pour ce qui le concerne » ), en donnant une version policée de ce que fut leur vie commune, mais surtout en présentant son œuvre avec une sorte de délicatesse emportée, qui signe un combat : celui qu’il livre pour une idée de la poésie, « flamme et cristal, fleuves et fleurs et grandes voix de bronze et d’or », en rappelant que « renonçant aux caresses des admirations d’élite », Rimbaud fut obstinément le contraire du « bohème » et du littérateur.

Evelyne Pieiller

(1« La rédaction quitte les Cahiers du cinéma (communiqué) », Acrimed, 27 février 2020.

(2Verlaine, Écrits sur Rimbaud, Rivages poche, Paris, 146 pages, 2019, 7,70 euros. Anthologie complétée de poèmes de Rimbaud et de Verlaine (consacrés à Rimbaud). Recueil composé et préfacé par Andrea Schellino.

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