
La nouvelle édition de Passages Transfestival, à Metz, s’inscrit en partie dans la saison France-Brésil de l’Institut français en lien avec la Casa do Povo à Sao Paulo : spectacles, rencontres, installations, expositions, films, concerts, pour interroger les ravages de la mondialisation et remettre l’être humain au centre du vivant. Dans ce programme, on en découvre un autre. Celui de l’Institut français de Jérusalem qui depuis juillet 2024 et jusqu’en décembre 2025 pilote et finance des résidences de création pour des artistes palestiniens en France et en Palestine. Dénommé Sawa Sawa (1), il a été transmis auprès du réseau des professionnels français et palestiniens (arts visuels, du spectacle, musique, cinéma…) mais a été peu médiatisé.
C’est dans ce contexte que l’on découvre Cosmos de Ashtar Muallem (2), une performance qu’elle a créée d’abord en arabe puis en anglais et en français avec Clément Dazin et leur compagnie La Main de l’Homme, soutenue par la Maison pour la danse et la Biennale des arts du cirque de Marseille. Repérée comme danseuse, à 18 ans, elle a pu rejoindre l’école de cirque de Châlon sur Saône et maîtriser tout un éventail de talents : danse, contorsion, techniques aériennes, jeu d’actrice… qu’elle déploie avec brio, distance et humour — et le sentiment de « devoir et de privilège » de porter la voix palestinienne.

Il y est question de son double autobiographique, née à Jérusalem, qui ne veut se définir ni comme « juive, chrétienne ou même musulmane » et fait de son corps son pays, fait siennes les revendications d’autonomie et de justice d’un peuple dont le territoire est occupé et colonisé. Jérusalem « ville de fantasmes pour beaucoup de croyants » a vu sa partie Ouest annexée en 1948, sa partie Est en 1967, et fut décrétée « capitale d’Israël » par la Knesset en 1980, relançant le conflit. Elle reste leur capitale pour les Palestiniens mais ils ne peuvent s’y rendre et ceux qui y vivent ont certes un titre d’identité de Jérusalem, « mais s’ils partent à l’étranger pour plus de trois mois, Israël les empêche de revenir, ils perdent leur résidence et le peu de droits qu’ils ont ». La Palestine est devenue « un morceau de gruyère », dont « les trous sont des colonies, des check-points et un mur qui fait 9 mètres de haut sur 708 kilomètres de long ». Il divise « chaque partie en petits morceaux, et chaque petit morceau porte une carte d’identité différente », selon qu’il est situé dans la partie A, B ou C, faisant peu à peu disparaître le pays. Gaza bien sûr habite aussi son récit et elle en rappelle la situation apocalyptique, invitant le public à un bord de plateau après le spectacle pour échanger. Française depuis 2017, Ashtar peut plus facilement travailler en passant d’une frontière à l’autre et, même si elle se sent « citoyenne de seconde zone », elle essaie « d’être un pont entre deux territoires ». Elle mène de front deux prochains projets : celui d’un film documentaire sur le théâtre Ashtar de Ramallah dont elle porte le prénom et où elle a grandi, ses parents en ayant été les fondateurs ; et une création théâtrale et musicale autour des chants et danses de deuil palestiniens, actuellement en voie de disparition et dont elle voudrait préserver la puissance et la beauté.

Arrivé à Metz le 9 avril au lieu du 1er mars, Mohammed Al Qudwa ne passe pas non plus inaperçu. À 21 ans, le jeune homme, anglophone, a quitté Gaza après un terrible périple, restant notamment en rade en Égypte, après avoir chèrement payé son voyage et son séjour (3). Les conditions de vie des Palestiniens — l’Égypte ne leur reconnaît pas le statut de réfugié et n’accepte pas les interventions de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA) — y sont très dures. Il attendra de longues semaines avant d’obtenir le visa-sésame du ministère de l’intérieur qui débloquera sa résidence, dont l’obtention était pourtant placée sous la tutelle des ministères de la culture et de l’Europe et des affaires étrangères. D’une durée de quatre mois, elle se déroulera entre Metz et Dijon, où il sera également accueilli par le Théâtre Dijon Bourgogne, puis à Thionville dans le cadre d’un partenariat avec le Centre dramatique national (CDN) transfrontalier, et elle donnera lieu à des lectures et interprétations de ses textes. Champion de karaté et danseur contemporain, Mohammed poursuit des études d’ingénieur, et écrit depuis son enfance de la poésie et des nouvelles. Publiées en arabe (4), pour certaines traduites en anglais, elles commencent à l’être en français. Actuellement, le jeune homme travaille à partir de la collecte de témoignages, édifiants, sur la traversée des corridors humanitaires à Gaza et en Palestine, dont lui-même a fait l’expérience, lorsque Gaza est coupée du Nord au Sud entre le 27 octobre et le 1er novembre 2023. Il étudie aussi les parcours de vie de nombreux exilés, enfants et adultes, qui ont dû fuir des guerres : Soudanais, Syriens, Irakiens, Ukrainiens… Il espère que sa prochaine étape sera de parvenir à mettre toute cette matière sur scène.

Dans un contexte international terrifiant où les frontières géographiques, sociologiques et politiques vacillent ou se dissolvent, ce zoom Palestine-Gaza était une nécessité pour Benoît Bradel, le directeur de la manifestation, qui souhaitait laisser « la plus grande place possible à une jeunesse en pleine ébullition et à des artistes femmes en pleine reconquête des espaces de création » afin « d’ouvrir de nouvelles fenêtres, imaginer d’autres chemins dès demain… »
L’ébullition est bien là avec les pièces chorégraphiques décoloniales de Betty Tchomanga (Cameroun et Éthiopie), les prémices d’un portrait-histoire de vie d’Avildseen Bheekhoo (Île Maurice), la performance de la brésilienne transgenre et indigène Uyra Sodoma, et bien d’autres. On souhaite à ces artistes des quatre coins du monde, tout en puissance et en grâce, de faire entendre leur voix et celle de leur peuple plus fort que celle de tous les faiseurs de guerre.
Passages Transfestival, jusqu’au 25 mai
Quartier général & Arsenal sur l’Esplanade — 1, rue de la Citadelle - Metz
Site Internet
Infos : 07 49 79 04 58Deux autres dates pour « Cosmos » :
• Propellen Teater – Trondheim, Norvège : 30 juillet 2025
• Le Prato – Lille : 24 mars 2026