L’annulation du deuxième tour des élections municipales du 22 mars 2020 entérine l’erreur de maintenir le scrutin du premier tour. Les partisans de ce maintien sont renvoyés à leur univers étriqué de professionnels de la politique pour avoir persisté en méconnaissance des conditions sociales et politiques qui permettent à des élections de se tenir. Un débat s’est ouvert pour savoir s’il fallait maintenir les premiers tours ou les organiser à nouveau quand aucune liste n’a atteint la majorité absolue. Ne sachant pas quand ce second tour pourra être organisé, l’écart chronologique est en effet problématique. Ce n’est pourtant qu’un faux problème car tous les premiers tours devraient être annulés et reportés. Il s’est passé en effet lors de ces élections des faits qui entachent la régularité de tous les scrutins municipaux du 15 mars dernier.
Les électeurs ont été placés devant un choix impossible
Les électeurs ont été placés devant un choix impossible puisqu’ils ont été appelés aux urnes pour accomplir leur devoir civique mais ils ont été appelés au même moment à ne pas fréquenter les lieux publics pour limiter la contagion. Des mesures ont d’ailleurs été prises pour éviter les contacts dans les bureaux de vote — espacement dans la file, stylos pour parapher les listes électorales et présence de gel hydroalcoolique, etc. Quel devoir civique était-il prioritaire : voter ou éviter la contagion ? La réponse n’était pas seulement dans la question mais dans le discours du président de la République prononcé le lendemain et dans la décision de reporter le second tour. Elle avait été auparavant fournie par la tenue du scrutin, avec des isoloirs privés de rideaux — ce qui est parfaitement illégal —, au mépris des consignes concernant la distanciation corporelle. On sait que le faible taux de participation (44 %, un record) aurait été encore plus faible si l’insouciance d’une journée de printemps n’avait troublé l’esprit de beaucoup de Français partis flâner collectivement sur les lieux de promenade. Comprenons bien : nous ne mettons pas en cause le sens du devoir civique des électeurs qui a permis au taux de participation de ne pas s’effondrer davantage. On a néanmoins parlé d’inconscience. On sait la réponse légaliste : la majorité se calcule sur le nombre de suffrages exprimés. Sans doute. Mais quid de la légitimité ?
Lire aussi Benoît Bréville, « L’union des villes tendance », Le Monde diplomatique, mars 2020.
Une multitude d’électeurs a été éloignée des urnes pour avoir tranché en faveur de la réponse sanitaire. Ils avaient raison. J’en connais. Pour ma part, j’ai conseillé à des amis de ne pas voter. Ces électeurs ont été trompés en étant placés devant un choix cornélien. On sait que la mobilisation différentielle a des effets sur les résultats du vote. Ainsi c’est une pratique ancienne de candidats que de dissuader la participation d’électeurs hostiles. Ici rien de comparable, mais une situation dont le droit électoral s’est toujours préoccupé en parlant de « la sincérité du scrutin ». La situation actuelle s’apparente plutôt à celle de la première guerre mondiale, où l’Assemblée élue en mai 1914, pour un mandat de quatre ans, fut finalement renouvelée en 1920. Non seulement parce que la guerre, en tout cas dans les zones occupées, ne permettait pas de voter — les assemblées siégèrent pendant toute la guerre — mais à cause de l’absence des soldats du front. Après avoir entendu aussi souvent parler de « guerre » à propos de l’épidémie (lire Philippe Leymarie, « L’armée n’est pas (encore) là »), il serait pour le moins inconcevable que l’on ne tienne pas compte de l’absence de ceux qui avaient choisi le combat contre le coronavirus ; la santé qui ne peut attendre au vote qui le peut. En somme, la voie est ouverte aux recours qui ne manqueront pas d’arriver devant la justice administrative. Plutôt que de trancher pour chaque élection locale, sans parler même des soupçons en légitimité au sujet des maires élus le 15 mars, il serait sage de tout recommencer en des temps plus propices.