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Conflits

En Afrique, des « conflits intra-étatiques de nature politique »

Quelle est la nature des conflits qui minent le continent africain ? Plusieurs experts ont tenté de répondre à cette question cruciale lors d’une conférence sur la paix et la sécurité en Afrique organisée les 20 et 21 juillet par le centre de recherches Policy Center for the New South, basé à Rabat, avec un message fort du général sénégalais Birame Diop.

par Sabine Cessou, 10 août 2022
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Capture d’écran de la retransmission du premier jour de la conférence. De gauche à droite, Leon Hartwell, Jalal Abdel-Latif, Birame Diop et Mohamed Znagui Sid’Ahmed Ely.

Leon Hartwell, de la London School of Economics (LSE), a exposé quelques chiffres clés lors de l’African Peace and Security Conference (APSACO) du Policy Center for the New South, tenue récemment dans la capitale marocaine : 32 conflits armés ont été recensés dans le monde en 2021, dont 15 en Afrique, soit 47 % des zones conflictuelles. L’Afrique a par ailleurs été en 2021 la région du monde traversée par le plus grand nombre de crises sociopolitiques — 40 au total —, suivie par l’Asie avec 24 crises. « Il y a eu quatre coups d’État réussis au Mali, en Guinée, au Soudan et au Tchad. Le plus grand nombre de coups aboutis depuis 1999. »

Le risque « d’opérations non orthodoxes » en Afrique augmente, estime un expert de l’OTAN

Andrea Grazioso, analyste senior du Hub Sud de la Direction stratégique de l’OTAN, a livré des réflexions prospectives liées à la guerre en Ukraine. « Pourquoi est-il si difficile d’évaluer l’impact de cette guerre en Afrique ? Pour plusieurs raisons, directes et indirectes. La guerre intervient dans la foulée de la pandémie de Covid-19, et une disruption majeure et persistante dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, avec une pénurie de matières premières cruciales et de certains produits technologiques. Un problème persistant de mouvement des personnes à travers les frontières existe aussi, tandis que la reprise économique rapide de 2021 a mené à un accès plus difficile à l’argent, qui pourrait conduire à une crise du crédit à court terme ».

Poursuivant son analyse, cet expert a estimé que la « guerre en Ukraine peut durer sur le moyen terme, avec un phénomène de militarisation de l’énergie. Le prix moyen du mégawatt/heure en Europe de l’Ouest était de 20 euros début 2021, il est passé à 180 euros fin 2021, avant l’invasion de l’Ukraine. Il pourrait y avoir une prolifération verticale (à cause des armements) et horizontale (géographiquement vers les pays voisins) de la guerre, outre son impact sur la sécurité alimentaire. Nous aurons un problème d’approvisionnement en 2023, puis un problème de disponibilité des céréales en 2024 à cause de la récolte qui n’aura pas lieu l’an prochain ».

Enfin, les conséquences politiques de la guerre en Afrique s’avèrent plutôt sérieuses : « Le risque de “state capture”, ou confiscation des moyens de l’État en Afrique, existe parce que la Russie n’est plus sous la menace de sanctions internationales pour son comportement sans scrupules. Les sanctions ont été adoptées. Le risque d’opérations non orthodoxes contre le leadership et les États en Afrique augmente ».

Le major-général ghanéen Francis Ofori, commandant du Centre d’entraînement international de maintien de la paix Kofi Annan, au Ghana, a évoqué une nouvelle donne diplomatique, dans la foulée du vote, le 2 mars dernier, d’une résolution urgente des Nations unies condamnant l’invasion russe de l’Ukraine. « Un nombre exponentiel de 35 pays, dont 16 en Afrique, se sont abstenus. Je suis sûr que les partenaires de l’Afrique se demandent dans quel camp elle se trouve. Les dirigeants africains doivent savoir quels sont leurs priorités et leurs intérêts ».

Des conflits « intra-étatiques de nature politique »

Lire aussi Sabine Cessou, « Coups d’État : régression démocratique en Afrique ? », 26 janvier 2022.

Le général Birame Diop, ancien chef d’état-major de l’armée du Sénégal, est aujourd’hui conseiller militaire au Département des opérations de paix des Nations unies. Ce haut gradé, qui appartient à la seule armée en Afrique de l’Ouest à n’avoir jamais fait de coup d’État, estime que « l’Afrique souffre moins de conflits inter-étatiques qu’intra-étatiques. L’histoire récente montre que dans nos pays, l’une des sources principales de conflits est de plus en plus liée à la politique. Très souvent, lorsque nous voulons tout simplement renouveler la classe dirigeante, nous pouvons nous retrouver dans une crise très violente et parfois une guerre civile, avec des centaines ou des milliers de morts, alors que le renouvellement de notre classe politique doit être une occasion de jubilation à la fois pour ceux qui veulent remplacer les responsables au pouvoir et ceux qui veulent les récompenser pour leur travail et les maintenir ».

Un message clair, adressé non seulement à la classe politique de son pays, où des tensions se font croissantes autour du projet de troisième mandat du président sénégalais Macky Sall, mais aussi à tous les chefs d’État tentés de recourir à ce subterfuge, devenu la norme plutôt que l’exception.

En évoquant la question des coups d’État en Afrique, le général Diop a affirmé que « nous, techniciens de la sécurité, ne devons pas nous considérer comme au-dessus du citoyen normal — un héritage de la colonisation pendant laquelle la sécurité était le bras armé de la puissance coloniale, pour brimer toute velléité de manifestation des populations. Quand les puissances étrangères sont parties, le secteur de la sécurité a continué à faire ce qu’il faisait durant la période coloniale, avec une multitude de coups et contre-coups parce que les militaires avaient la certitude d’être supérieurs et étaient convaincus de devoir prendre la relève. » En clair, ces tentations qui essaiment en Afrique de l’Ouest sont des régressions vers le passé, et non des solutions d’avenir.

Sabine Cessou

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