Le problème n’est pas, n’a jamais été les « 1 % ». Au reste si vraiment on voulait cerner la grande richesse qui fait les oligarchies, il faudrait plutôt aller chercher du côté des 0,01 % voire des 0,001 %. Non, le problème — le verrou politique — ce sont les 10 %. Les 10 % qui, ne souffrant de rien, sans être richissimes, « y » croient dur comme fer. Adhèrent à tous les énoncés de l’hégémonie, les répandent comme évidences autour d’eux, s’interloquent qu’on ne les partage pas. Une sociologie plus polémique que scientifique des 10 % dirait : c’est la classe nuisible — tout en postures, à célébrer au nom d’abstractions avantageuses (la mondialisation contre le repli, l’Europe contre les nationalismes, l’ouverture contre la fermeture) des transformations qui détruisent les autres classes. Une économie politique sérieuse (celle de Bruno Amable et Stefano Palombarini) dirait : c’est le bloc bourgeois. Une vue littéraire (celle de Sandra Lucbert) : c’est le PFLB — le PourFaireLeBourgeois. Et en effet, synthétiquement : Dans le PourFaireLeBourgeois, il y va d’une certaine position matérielle telle qu’elle permet les profits symboliques de la hauteur de vue sans le moindre égard quant à ce qui en résulte pour les autres. Là où les manants sont rivés à la nécessité et lamentablement incapables de penser au-delà de leurs fins de mois, LeBourgeois du bloc est désireux de se porter en pensée au niveau des gouvernants, avec lesquels il peut imaginairement dialoguer, partager des phrases (« le pays a besoin de réformes »), le regard identiquement tourné vers les « grands enjeux ». Et comme sa position matérielle le rend étranger à toute conséquence il se moque totalement du reste. Tout en poses et en revendications du moral highground, ce sont des pharisiens.
Stréphopodie publique et PFLB
C’est la base sociale de France Inter (Le Monde, Libé, Télérama, L’Obs, etc.) — en fait le rêve giscardien tiré du formol, parfaitement conservé, de la « démocratie avancée ». Mais avec 1 Français sur 10 au lieu des 2 sur 3 visés à l’origine. 1 sur 10, c’est le score électoral réel de Macron à la présidentielle de 2017 (1). Et c’est parmi eux qu’on trouve le concentrat de tous ceux qui ont droit à la parole à grande échelle : entrepreneurs complaisamment interviewés, experts, journalistes, qui bourrent les crânes à longueur de journée — avec le bon fourrage. Intellectuels aussi, bien sûr. Typiquement, pour France Inter et sa base, il y a deux intellectuels en France : BHL et Rosanvallon. Publieraient-ils un livre de cuisine ou un album de photos de voyages qu’ils seraient encore invités chez Demorand et Salamé. C’est normal : entre la sapidité politique d’une endive qui passe pour de la pondération (Rosanvallon) et l’hystérie des « valeurs » avec lesquelles on fait (faire par d’autres) les guerres justes à dizaines de milliers de morts, la base sociale en a pour son désir d’élévation intellectuelle et morale.
Lire aussi Pierre Rimbert, « La bourgeoisie intellectuelle, une élite héréditaire », Le Monde diplomatique, août 2020.
Logiquement d’ailleurs, elle s’imagine « de gauche ». Elle est socialiste. Ou socialiste de gouvernement, socialiste moderne quoi — ça peut aller jusqu’à macroniste. Depuis quarante ans, on lui a répété, envers et contre toute évidence, que le parti socialiste était « de gauche ». C’est en ce point qu’on mesure la difficulté de défaire les investissements imaginaires dans une identité politique. Une fois qu’on s’est dit de gauche à la manière PS, et qu’on y a été confirmé répétitivement par France Inter, ni les traités européens successifs, ni les privatisations, ni le CICE, ni les démolitions du code du travail, ni finalement aucun des alignements sur les desiderata du capital ne peuvent conduire à quelque reprise de soi politique : on est de gauche, c’est évident. Puisqu’on vote PS (ou Macron par raison). Et qu’on écoute France Inter.
Le problème n’est pas, n’a jamais été les « 1 % ». Non, le problème — le verrou politique — ce sont les 10 %.
Mais que se passe-t-il dans la tête d’un bourgeois néolibéral de gauche quand on commence à lui servir une soupe aux effluves de droite ? — entendons, puisqu’il n’a aucun concept de la gauche et de la droite, rapportable aux étiquettes de droite dont il a l’habitude. Par exemple, quand il se découvre une matinale farcie avec Alexandre Devecchio (Le Figaro), Natacha Polony (Marianne) et Étienne Gernelle (Le Point), qu’est-ce qu’il se dit, le PFLB de gauche ? Qu’est-ce qu’il sent en lui ? Peut-être que la limite de plasticité de son idée de la « gauche » est atteinte. Parce qu’ici nous avons de la droite mais alors estampillée de droite. La Francité attaquée, l’ensauvagement, l’immigration qui se croit tout permis, les territoires perdus de la république, ça c’est de droite. Autant bien sûr que la politique économique de droite à laquelle il donne son plein suffrage de gauche, sauf que cette fois-ci ça « marque ». Ça marque d’autant mieux qu’il pourrait aller jusqu’à percevoir la grossièreté de la manœuvre : on est en train de lui servir des succédanés à peine moins mal embouchés que les pétomanes de CNews, Europe 1, RMC, BFM, LCI — qu’il n’identifie pas comme de gauche. Or le bourgeois néolibéral de gauche a un point de dignité à défendre. Il n’est pas que raisonnable : humaniste et bienveillant également. Qu’on lui fasse des bruits de trompette dès le matin n’entre pas dans les attentes de son image de soi. À plus forte raison s’il perçoit la direction de la pochtronade généralisée, et qu’on l’invite ce faisant à se joindre à une tendance — qui pue, ça aussi tout de même il le sent vaguement.
L’aveuglement au désastre
Le propre des périodes de crise organique, c’est l’impression d’écrasante fatalité qui s’en dégage. Rien ne semble pouvoir arrêter rien. La course au désastre est comme inexorable, tous les freins, en tout cas ceux qu’on s’imaginait tels, sautent les uns après les autres. Ici d’autant plus vite que la concurrence s’offre à intensifier le ralliement mimétique — et peu importe que ce soit pour le pire. Le champ médiatique se considère désormais sous le magnétisme de la presse fascistoïde dont les succès l’impressionnent. Il comprend qu’après tant de mornes années à mâchonner le consensus gouvernemental indifférencié, le premier entrant qui propose une nouvelle intensité rafle la mise. Mais l’esprit concurrentiel est purement formel : il voit une différence qui semble réussir, peu lui importe son contenu. Seul compte l’effet de différence. Ici on interprète que « le pays » demande de la surveillance, du désensauvagement et de remettre les Arabes à leur place. Qu’à cela ne tienne : on lui en donnera. Bien sûr pas à grosses louches qui éclaboussent comme sur CNews-Europe 1 mais, sur fond de bonne éducation maintenue, de temps en temps : un bon coup de cuivre. Manière de dire qu’on est à l’écoute de la société, qu’on ne va pas refaire l’erreur de se couper « des gens », etc. Etonnante passion de faire comme les autres quand on a élu pour slogan d’« écouter la différence ».
Lire aussi David Garcia, « France Inter, écoutez leurs préférences », Le Monde diplomatique, août 2020.
Que la pente fascistoïde soit l’effet de trois décennies de déréliction néolibérale, du refus forcené de donner la parole à quoi que ce soit de gauche — autrement qu’à la manière du parti socialiste —, ou des encouragements constants d’un pouvoir dérivant vers la droite extrême, c’est le genre de considération qui ne traversera pas un instant les cerveaux de France Inter. Pas plus que ne leur viendra la première interrogation sur la période que nous vivons, sur ce qu’une grande radio, qui plus est de service public, aurait à y faire, c’est-à-dire sur ce que c’est que vivre un moment de bascule historique, et sur la place qu’on va venir y occuper.
France Inter, écoutez leurs préférences
Si le sens de l’histoire ne vous vient pas spontanément, il y a toujours la possibilité de lire. Michaël Fœssel écrit sur l’année 1938, Daniel Schneidermann sur la presse des années 30. Sans rabattre deux époques l’une sur l’autre, on peut s’y rendre sensible aux échos, à des traits communs. Et notamment à ce qu’on pourrait appeler la faillite des sauvegardes. C’est que faire sauvegarde suppose de se mettre en travers du courant général. Au lieu de quoi, la tête étrangère à ce qui se joue réellement, le commentariat n’a d’autre obsession que de ne pas se laisser distancer par le mouvement collectif. Dans les mondes de l’opinion comme dans les marchés, et à plus forte raison dans les mondes de l’opinion sous l’empire des marchés, tous les mécanismes œuvrent au ralliement procyclique. La tendance qui s’esquisse s’approfondit cumulativement et, hormis les habitués de la condition minoritaire, plus rien ne s’oppose au grossissement du flot. La norme connaît alors des déplacements fulgurants. Des idées, des énoncés autrefois repoussés parce que… repoussants, deviennent dignes de considération parce que les courants de la considération se sont réorientés et que, esclave des courants, on ne veut pas être en reste.
De l’art de ne pas voir ce qu’il y a à voir
Il est vrai que le glissement de terrain a été préparé de longue date comme en témoignent les données publiées par Libération sur la répartition des invités politiques du 7/9 de France Inter. Non pas que la statistique soit hors d’âge, au contraire elle est on ne peut plus fraîche (24 août 2020 - 8 juillet 2021) mais parce que, aimablement fournie par une officine nommée Politiquemedia (2), et reprise telle quelle sans y voir mèche par Libération, elle repose tout entière sur des catégorisations politiques d’une débilité venue de loin.
On y lit ainsi que LREM et les invités gouvernementaux représentent « le centre », le PS et EELV « la gauche », et LFI « l’extrême gauche ». Tout est d’une tragique bêtise dans cette « infographie » sans doute vécue comme un sommet du fact-checking et de l’intransigeante passion pour le vrai. Et toute la vue prise sur le paysage politique contemporain, sur ses transformations, sur ses déplacements, est viciée à cœur par des qualifications désastreusement fausses.
Un gouvernement qui déploie des armes de guerre contre ses contestataires, mutile comme jamais sous la Ve « république » depuis les ratonnades officielles de 1961, cautionne les violences racistes de la police par son silence, voire ses encouragements, à l’image du ministre de l’intérieur qui « s’étouffe » de rire d’en entendre parler, un gouvernement qui fait voter des lois de surveillance sans précédent, fait mettre en garde à vue pour une banderole sur une maison ou une apostrophe sur le passage du président, projette des purges dans l’université, laisse ses principaux ministres se soulager de leurs obsessions islamophobes, dont le ministre de l’intérieur, encore lui, s’honore d’être moins « mou » que la dirigeante de l’extrême droite, dont le chef réhabilite la mémoire de Pétain et de Maurras, et dont tous les affidés, ce voyant, battent des mains, n’est pas un gouvernement centriste. C’est un gouvernement de droite extrême. Et de droite extrême également l’innocente « droite » de LR, comme la primaire à venir, si besoin en était, ne va cesser de le confirmer.
Lire aussi Sophie Divry, « Les mutilés contre-attaquent », « Le peuple des ronds-points », Manière de voir n˚168, décembre 2019 - janvier 2020.
Le diable n’est pas que dans les détails : il est aussi dans les catégories, ces petites choses intellectuelles, réputées sans importance pour la vie « réelle », mais qui n’en font pas moins des visions du monde, des visions ou des non-visions, ici produites dans un fatal mélange d’insuffisance et de paresse journalistiques, au terme de quoi le glissement du pays entier vers l’extrême droite nous est infographié comme une sur-représentation un peu contestable des invités du « centre ».
Car c’est une tout autre image politique que livreraient les mêmes données mais reventilées dans des catégories politiques redressées. On y lirait alors, pour l’essentiel :
Extrême droite (RN) : 6 %.
Droite extrême (LREM, gouvernement, MoDem puisqu’il soutient en tout le gouvernement, LR) : 65,1 %. Sans doute pourrait-on se demander pourquoi distinguer « droite extrême » et « extrême droite » quand si peu de choses objectivement les séparent, jusqu’à leurs lignes économiques, devenues identiques en tout ou presque — et nous aurions un bloc raisonnablement homogène à 73,1 %.
Droite (PS) : 15 %.
Gauche (LFI) : 4,6 %, car tout le monde a compris que ranger LFI dans l’« extrême gauche » n’a pas d’autre fonction que de lui infliger un stigmate d’inéligibilité de fait : qu’une majorité se fasse autour d’un extrême, n’est-ce pas une contradiction dans les termes ? Si vraiment on voulait conserver la catégorie d’extrême gauche, il faudrait la réserver aux formations ouvertement anticapitalistes (ce que LFI n’est nullement). Or, précisément, de ce côté :
Extrême gauche (NPA, LO, etc.) : 0 %
C’est peu dire que les « données » (celles dont le fact-checking, décidément, ne comprendra jamais qu’elles ne disent rien d’elles-mêmes), réagencées hors des catégorisations paresseuses, et frauduleuses, racontent une histoire infiniment moins présentable : la droite extrême représente 73,1 % des invités politiques de la matinale de France Inter, la gauche 4,6 %. Répétons pour bien imprimer les rétines : sur France Inter, droite extrême : 73,1 %, gauche : 4,6 %.
On juge de l’urgence d’ajouter à cette composition à l’évidence des plus ternes — « molle » dirait Darmanin — une section de cuivres un peu tonique. France Inter a un rang musical à tenir. Sur CNews, LCI, BFM, désormais Europe 1, logiquement rejointe par Philippe Val, RMC par Valls (la « gauche » d’extrême droite, une autre idée à déboussoler un infographiste), péter est une exigence éditoriale, et la pétomanie une affirmation de liberté, un motif de fierté. Avec ce qu’il faut d’obliquité pour préserver une réputation, France Inter a tout de même décidé qu’elle ne se laisserait pas décrocher de son époque. S’il se passe quelque chose, l’important c’est de suivre, c’est d’en être, keep up disent les Anglo-Saxons, et peu importe avec quoi. On sait déjà que, comme la quasi-totalité du champ médiatique, elle validera sans un battement de cil l’opération de blanchiment qui s’annonce avec le lancement du « grand parti démocrate » qui, paraît-il, agite les têtes macroniennes. « Parti démocrate », voyons, ça ne peut pas être le parti des éborgneurs ; c’est comme Obama : c’est gentil. Mais on se demande comment elle se débrouillera, le moment du barrage venu, quand il s’agira d’expliquer à ses auditeurs le danger des idées de Le Pen après leur avoir donné écho trois matins sur cinq.
Dans cet aveuglement général au désastre, ceux qui n’ont jamais douté de leur position de précepteurs de l’opinion, pareils à leurs prédécesseurs d’il y a quatre-vingts dix ans, refont la même démonstration de la carence intellectuelle et de la carence morale, se retrouvant tous, obnubilés par leurs seuls regards croisés, indifférents à regarder quoi que ce soit d’autre, les prémices réelles par exemple, se retrouvant tous, donc, à péter — ou pour les plus distingués : à faire péter — au cul du convoi. Méthodiquement rendu inarrêtable.
Post-scriptum : de l’art de ne pas voir ce qu’il y a à voir (bis). À propos de « France » de Bruno Dumont
Au moment, légèrement inquiétant, où le dévalement général prend de la vitesse, on voudrait pouvoir attendre de l’art qu’il dise quelque chose d’un peu puissant sur la manière dont les médias retournent les cerveaux et refaçonnent l’époque (en se laissant refaçonner par elle). On se prend à espérer quand un réalisateur aussi exceptionnel que Bruno Dumont s’empare de la question. On se retrouve avec France, film de « critique des médias » unanimement célébré par les médias, sans doute pour la raison qu’il livre un consternant brouet à base de « société du spectacle », d’information fabriquée, de psychologie des grandes stars et d’ivresses de la notoriété que, réseaux sociaux mis à part, on croirait tiré des années 90 — et qui en garantit la parfaite innocuité. Pour cette autre raison aussi que le talent formel du réalisateur y est toujours aussi éblouissant… s’il n’a pas la moindre idée un peu substantielle sur laquelle s’exercer. Les plans de déambulation automobile, par exemple, bulles de silence comme suspendues en l’air, sont certainement une merveilleuse idée formelle pour offrir une représentation sensible du monde séparé dans lequel vivent France et son âme damnée. Mais enfin, du point de vue de l’idée, c’est tout de même un peu court « les médias hors-sol ».
Aucune importance, au contraire même : la combinaison de pauvreté substantielle et de génie formel est précisément la plus propre à faire les pâmoisons de la bourgeoisie critique : la forme, la forme, la forme ! Et peu importe qu’il n’y ait rien, ou si peu, à couler dans la forme. Alors France Culture se pâme, Libération se pâme, Le Monde se pâme, Télérama, Les Inrocks, etc. Quand on connaît le degré de réflexivité des médias, cette extase collective, en soi, suffirait à être suspecte. Certes, aux « Matins » de France Culture, Chloë Cambreling renâcle bien un peu à entendre Bruno Dumont lui asséner ses « vérités bien senties » — pourtant portes ouvertes enfoncées il y a à peine trente ans : les sondages manipulent avec des questions biaisées (est-ce possible ?), les médias font leur sélection dans le flot des nouvelles (donc des choses ne sont pas montrées ?), certains reportages sont scénarisés, montés même (incroyable !), les journalistes de la radio lisent des textes écrits avant leur prise de micro. L’artifice de France est la métonymie de l’artifice de son milieu, on nous avait promis la restitution du réel, mais en fait tout est faux — énorme révélation.
Voilà donc le niveau d’analyse des médias portée par l’un des plus grands réalisateurs français. Tout le talent formel du monde n’empêchera pas qu’un film sur un objet politique dépourvu de toute pensée de son objet politique ait nécessairement ces airs d’ahurissement à la découverte d’évidences connues de tous depuis des lustres — sauf de l’auteur, manifestement. Et que s’il s’agit de critiquer les médias — dans le moment que nous vivons il y a plus urgence que jamais —, il s’agirait peut-être de travailler un peu — à autre chose qu’à la forme, ou sans trop perdre de vue que le travail de la forme n’a de sens qu’en adéquation avec un objet pensé, et précisément pour donner à cette pensée un supplément de puissance sensible. Mais, de pensée de son objet, on voit ce qu’il en est dans le France de Bruno Dumont. Il est vrai que Bruno Dumont revendique son « anti-intellectualisme » et de faire un art qui ne pense pas. Dont acte.
Dirait-il d’ailleurs que son objet est politique ? On n’en est même pas sûr. Les vicissitudes de l’âme de France, entre pentecôtes et relaps, restent le principe de liaison des vignettes disséminées çà et là par le réalisateur — ainsi quand un inconnu détruit à coup de pied un Vélib’, ou qu’à une soupe populaire, rédemption momentanée pour la vedette, un pauvre lui rend une pomme… faute de dents pour la manger. Connaissant Bruno Dumont, on ne peut même pas exclure l’hypothèse de la référence biblique, mais inversée : l’homme rend la pomme à la femme… On sait pourtant depuis le socialiste Hollande de quoi les sans-dents sont surtout la métonymie : du capitalisme néolibéral et de ses inégalités obscènes. Et de même le vélib : de l’« aménagement urbain » vendu au capitalisme néolibéral. Et de même, tiens, les médias. N’y aurait-il pas eu plus d’intérêt à monter un dispositif permettant de lier par-là ces éléments apparemment disparates mais réellement solidaires, plutôt que par les tourments de l’âme de la star ? On comprend au total que pas grand monde dans les médias n’ait pu résister à une charge aussi délicieusement intransigeante, et aussi merveilleusement inoffensive, à plus forte raison quand elle offre à tous les pharisiens de la culture les profits symboliques de la communion avec le grand art, tout à un ravissement formel libre du moindre dérangement politique.