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Homo ça coince…

Quarante ans après, qui se souvient du déchaînement de haine contre les homosexuels en France ? Non seulement ils étaient déjà souvent méprisés, mais l’apparition du sida offrit à une certaine pensée hétéro-orthodoxe l’occasion de se libérer.

par Christophe Goby, 20 juin 2019
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Lors de l’ouverture de la pièce de Jérémy Beschon, des flashs infos rappellent que l’homosexualité était considérée par certains comme une maladie mentale, que les homos étaient responsables du sida — pas tout seuls, d’ailleurs. Souvenez-vous des 4 H, les homosexuels, les héroïnomanes, les Haïtiens, et les hémophiles, comme le rappelle Richard Mémenteau dans Sex Friends (1).

Olivier Boudrand en chemise blanche aboie comme une mouette et gesticule de ses grands bras. Dans un halo de lumière, il parle de cette maladie qui hante le monde occidental, raconte les lesbiennes électrocutées en Grèce, les thérapies de conversion aux États-Unis, montre une norme qui a peur d’elle même : la peur du désir. « La proportion des gays déclarant plus de dix partenaires sexuels dans l’année est ainsi de 34 % en 1997 (2) », écrit Daniel Bizeul. Olivier Boudrand joue alors avec trois puis quatre personnages dont une transgenre franco-argentine qui tapine à Sébastopol, une place de Marseille. Il raconte la gare Saint-Charles et les travestis venus d’Alger, les rendez-vous entre la Plaine et les Cinq avenues, lieux de rencontres des travestis marseillais. « Les pissotières ont été détruites par la mairie. » On a la réponse au manque de propreté légendaire de la ville… La politique locale, c’est d’araser quand il y a déviance visible. Quand on le cache, tout est permis.

Entre scènes de famille et rencontres de personnages joués par un seul acteur, une voix prononce un discours socio-philosophique contextualisant l’époque. Cette voix c’est encore Olivier Boudrand. Il occupe toute la scène, s’invente des rôles comme une goudou de Belleville ou un père refoulé. On y croit, on rit, on ne perd pas une miette de la performance.

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Betty
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Lire aussi Didier Eribon, « L’affirmation homosexuelle », Le Monde diplomatique, juin 1996.

Qu’il joue la mère marseillaise ou le jeune homo monté à Paris, dans la capitale qui se construit un périmètre de défense et de défonce, un Paris qui va jouer l’atout de la diversité par le quartier gay, Boudrand ne s’essouffle jamais. Il exulte. Il venge toutes les frustrations anéanties. Le Marais, Soho, Castro ou Tel-Aviv qui mise sur le pinkwashing comme le raconte Jean Stern dans Mirage gay à Tel Aviv (3).

Betty, la transgenre franco-argentine raconte la perversité du désir, les coups de son amant qui ne s’assume pas. Les mots crus : « Je sais, ça ne se dit pas, j’aime trop la bite » et retournant les idées les plus avancées : « On ne nait pas femme, on devient lesbienne. »

Fruit de travaux sociologiques et de textes de Laurent Gaissad, de Virginie Despentes, Guy Hocquenghem, ou Sam Bourcier, la pièce se promène entre Toulon, Marseille et Paris, entre cris de rage d’hommes et de femmes qui aiment sans se soucier de leur reproduction. Homo ça coince devient homo erectus.

Homo ça coince, Une mise en scène de Jérémy Beschon. Écriture de Jérémy Beschon avec la collaboration de Virginie Aimone (comédienne), Olivier Boudrand (comédien) et Laurent Gaissad (chercheur). La pièce s’est jouée les jeudi 23 et vendredi 24 mai 2019 à 20 h, Le Liberté, scène nationale, Toulon. Puis mercredi 28, jeudi 29, vendredi 30 mai 2019 à 20 h, Théâtre de l’Œuvre, Marseille. Puis jeudi 6 juin 2019 à 20h, Le 100, Paris.

Christophe Goby

(1Zones, Paris, 2019. Lire en ligne.

(2Martial, La rage de l’humilié, Agone, Marseille, 2017.

(3La Fabrique, Paris, 2017.

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