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La banque centrale et ses enfants

Un ordre européen, sentant sa fin prochaine,
fit venir ses enfants, leur parla en dessins :
Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins.

par Sandra Lucbert, 7 mai 2020
Partie d’un dessin de Zéno, 8 ans, d’après Le Monde. Cliquer dessus pour le voir en entier.

Il y a des dessins,
dans les articles du Monde ou bien du Figaro.
Il y a des décodeurs dans les journaux et puis à télé, c’est simple et puis c’est gai ; tout le monde est bien gentil,
en démocratie.

On va tout vous expliquer pourquoi on fait comme ça,
Pourquoi on ne va pas changer les règles européennes.
Et vous n’aurez plus peur.

On va vous faire un dessin, c’est d’accord ? Ça va pas trop vite ? Un dessin tout mignon, des institutions-bonhommes, des cubes drôlement sympas qui ont des attributs
Minimaux.
Une bouche contente ou pas, parfois une main — pour prendre ou donner de l’argent, prendre ou donner
des conseils, des notations.

Vous voyez, on a des artistes qui nous fournissent ces contenus solidaires en free lance
Pour vous expliquer pourquoi on ne va rien changer
Du tout.
« Dessine-moi l’éco », ça s’appelle.

Sur Youtube et Radio France aussi, on a mis des contenus pour la Nation apprenante
La Nation apprenante c’est vous, parce que vous apprenez tous les jours tous les jours,
Et nous, on vous explique tout tout tout,
Bien patiemment, en vidéo. Que ce soit plus marrant, d’apprendre ce qui ne peut être changé.

La vie c’est bien compliqué. Maman Lagarde, même si elle voulait, elle pourrait pas changer la vie. Maman Lagarde, elle peut pas aggraver la situation en nous laissant dépenser de l’argent.
C’est comme pour la circulation : vous, les enfants, vous avez envie de vous retrouver pour chahuter et faire des pâtés. Le virus, vous en avez marre. Alors on vous met un détecteur dans le téléphone et comme ça, on vous empêche d’aider le virus.
Pour la dette publique, c’est pareil : on va vous aider à vous protéger, on va tout vous expliquer.
Et vous n’aurez plus peur.

On va tout vous dire pourquoi face au virus il faut se serrer les coudes sans se toucher,
Mettre des masques même si on n’en a pas.
On va tout vous décrypter pourquoi les dépenses publiques il n’en faut pas, justement parce qu’il y a un virus méchant. Ce serait très très grave, les enfants, si on annulait les dettes, très très grave.
Vous comprenez ? Non, justement, mais on est là pour ça :
Pour vous expliquer.
C’est pour ça que maman Lagarde elle dit : on ne va pas racheter les dettes. Parce que c’est très dangereux. Et puis Bruno Le Maire aussi, il le dit, notre ministre des finances.

Il y a des questions très très compliquées dans la vie politique, les enfants, des qui font mal à la tête des enfants. Et puis il y a des choses très simples : des dangers, et comment s’en protéger. Ce qu’il y a quand on est parent c’est qu’on doit expliquer aux enfants comment elles sont,
ces choses de la vie qu’on ne peut pas changer.
C’est comme : si tu touches la flamme, tu te brûles et tu pleures ; si tu mets les doigts dans la porte, tu risques de te faire pincer très fort. C’est la vie expliquée aux enfants.
Il y a des dangers, plein de dangers. Qui pincent très très fort les enfants.
Mais les enfants, ils sont petits : les dangers, ils les voient pas, ils sont trop bas,
dans la société,
et trop fragiles aussi. La dette, c’est un grand danger qui pince très fort. Une fois brûlés, les enfants, ce sera trop tard pour pleurer.
Vous comprenez ? Il faut faire confiance aux grands.

Alors on va tout vous raconter toute l’histoire de la grosse banque.

C’est l’histoire de la grosse banque qui est là pour nous protéger de la dette.
Une grosse banque si grosse qu’on dit Banque Centrale Européenne : BCE. C’est elle qui fait la monnaie.
Aujourd’hui elle est indépendante, la BCE. C’est Maman qui la dirige.

Avant c’était pas comme ça, c’était pas bien avant, la banque centrale, elle dépendait de la France.
Sur le dessin qui bouge, regardez comme c’était pas bien, et comme c’est mieux maintenant :

D’abord on dessine la France et puis une route entre elle et la banque centrale, qui lui crée de la monnaie,
à la France.

Mais la grosse banque liée à la France, comme ça : qu’est-ce qui lui arrivait ? Il lui arrivait qu’elle dépendait de la France.
Et la France, elle était déjà pleine d’enfants agités comme vous. Du coup la grosse banque, avant, elle dépendait des politiciens qui veulent toujours vous gâter, les enfants agités, pour être élus, et qui dépensent dépensent dépensent et s’en fichent des autres.
Ça fait de l’inflation, ça va pas : avec l’inflation on se fait écraser par les prix des choses et puis les gens qui ont des choses plein de choses, eh bien, leurs choses elles valent plus rien, avec l’inflation. Alors ça va pas.

Donc dans l’animation, comme vous voyez, on efface la route entre la grosse banque et la France — qui est remplacée par l’Europe. Et la grosse banque elle s’appelle alors BCE ; elle, elle est indépendante, comme vous quand vous serez grands.
Elle est indépendante, ça veut dire qu’elle ne dépend plus de la France.
Ça veut dire qu’elle a changé d’amis, la grosse banque,
Maintenant elle joue avec les marchés financiers.

Les marchés financiers, eux c’est des grands ; pour eux, c’est fini les bêtises.

La France, elle, elle fait encore plein de bêtises.
Elle dépense elle dépense elle dépense.

Les marchés financiers, ils le savent : quand ils lui prêtent des billes, à la France, elle perd tout dans les parties. Elle est jamais concentrée, elle a plein d’émotions.
Et les marchés financiers, ils retrouvent pas leurs billes.
Alors ils lui disent : ma vieille, t’apprends à viser, sinon jt’en prête plus !
Et là, la France, elle peut plus jouer avec personne. Elle est bien embêtée.

La grosse banque, elle aussi elle est sage. C’est pour ça qu’elle quitte plus les marchés financiers. Ils se comprennent. Parce qu’avant d’être indépendante, c’était elle, la grosse banque, qui prêtait les billes. Elle en avait marre de la France.
Maintenant, avec les marchés financiers, les deux ensemble, ils disent à la France : ça suffit, tu vas un peu apprendre à les compter, tes billes. Sinon tu joues plus.

Toutes ces billes qu’elle a perdues, la France, c’est son déficit.
Et tout ce qu’il a fallu lui prêter, c’est sa dette.

Vous comprenez, les enfants, pourquoi c’est grave très grave, si on emprunte juste parce qu’on a peur ?
On pourra plus jouer avec personne. Vous ne voulez pas ça, les enfants : être tout seuls au fond de la cour ?

Voilà : la banque centrale, elle est indépendante, on ne peut pas la rendre aux petits enfants qui font des bêtises,
et c’est Maman qui la dirige,
Car elle sait mieux que vous les enfants,
Elle sait
Que ce sera terrible, après le virus, si la dette a explosé. Là on sera tout seuls et toute la cour ils parleront sur nous, ils riront, ils seront tous amis pas avec vous, vous voyez ?

Vous avez bien compris ? En démocratie, on fait ce qui doit être fait mais on explique tout bien pourquoi.

Même le président il vous parle bien gentiment pour tout vous expliquer.
Que vous n’ayez plus peur. Tous ensemble, on va tout vous expliquer pourquoi face au virus, il faut que vous renonciez à vos droits
les plus fondamentaux : vivre c’est une chance, si on compare avec les autres pays où ils ont moins de chance,
et meurent beaucoup beaucoup beaucoup.

Alors les grosses colères et les gros chagrins, c’est fini ; c’est l’heure
De faire ses devoirs.
Allez, les enfants, maintenant, on retourne travailler.

Sandra Lucbert

Auteure de littérature, actuellement en résidence au Cneai avec le soutien de la résidence Ile de France (voir ici).

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