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La Belle Étoile de Jolie Môme

par Evelyne Pieiller, 27 novembre 2023
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Spectacle « Barricade » (d’après Arthur Adamov), 2011.

La Ville de Saint-Denis a lancé un appel à projet, concernant l’attribution pour cinq ans de l’occupation de « la salle dite de la Belle Étoile », que la compagnie Jolie Môme a (ré)inventée et fait vivre depuis 2004. La décision vient d’être prise : Jolie Môme n’est pas retenue. L’affaire paraît banale. Elle ne l’est pas. Elle est même un remarquable symbole d’une entreprise généralisée de liquidation, celle des liens entre le théâtre et le politique, celle de l’esprit de la « décentralisation » menée dans la lignée du programme du Conseil national de la Résistance (CNR).

Que voulait donc la municipalité à majorité socialiste, qui a succédé à l’été 2020 à la majorité communiste, jusqu’alors régulièrement réélue depuis 1944 ? Un projet « culturel, artistique et citoyen ». Bon, c’est du vide classique, dans les mots du néolibéralisme. Culturel et artistique, on entrevoit vaguement ce que ça veut dire. Vraiment vaguement d’ailleurs, et c’est probablement l’idée sous-jacente, on mettra dans ce vide ce que les décideurs auront décidé d’y mettre. C’est tout l’intérêt de ces formules. Une précision apparaît plus importante : le travail de la compagnie devra être en « adéquation avec la politique culturelle de la ville ». Si la mairie était à l’extrême droite, il est probable qu’on se demanderait avec émoi s’il ne s’agit pas là d’une mise sous tutelle idéologique. Voire, si on a mauvais esprit, d’une censure préalable.

Un projet « culturel, artistique et citoyen ». Bon, c’est du vide classique, dans les mots du néolibéralisme.

On a par ailleurs quelque difficulté à savoir quelle est cette « politique culturelle », ou même à identifier quels élus en sont chargés, l’organigramme présentant l’équipe municipale étant à tout le moins confus. Mais peu importe. Il est évident que, indépendamment des ambitions de Saint-Denis d’être choisie comme « capitale culturelle » en 2028, ambitions cruellement déçues, ce qui ressort du programme courant, c’est, comme dans toutes les villes à majorité comparable, la volonté de démocratisation culturelle, d’action de proximité, d’inclusion etc. Le tout, quand même, doublé de l’attention à porter à « l’arrivée du Grand Paris Express et des Jeux Olympiques et Paralympiques ». Rayonnement, rayonnement !

Ce qui n’explique guère pourquoi Jolie Môme n’a pas été retenue. Il suffit de regarder le travail que fait la compagnie, pour voir qu’elle a « développé un véritable service public de proximité ». Dans lequel elle inclut l’accueil d’intellectuels et de mouvements militants. Et c’est sans doute là que blesse le bât. Une lettre ouverte de la compagnie affirme, sans semble-t-il avoir été démentie, que le maire, M. Matthieu Hanotin, considère qu’un « théâtre ne doit pas accueillir de conférences, de débats, de politique », mais « être uniquement un espace de spectacle et de fête ». En bref, « le cœur du problème » serait bien « politique ».

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Révélations !
Affiche du spectacle « Révélations ! », du 17 novembre au 3 décembre au théâtre de La Belle Étoile.

Place à la fête… Étrange opposition. Le théâtre peut être une fête, parce qu’il peut mettre en éveil, procurer le bonheur de voir se dérouler « en vrai », se chanter, s’imaginer une histoire qui fait travailler l’aspiration à une vie plus complète. L’échange sur notre vie commune peut être une fête, celle des neurones, celle du partage du savoir et des ouvertures de perspectives. Ou la fête ne serait-elle définie que comme l’oubli fugace des complications, un défoulement anesthésiant, un réconfort, verso de la résignation ? Le lieu du consensus fantasmé, à l’opposé du jeu des contradictions, de la mise en doute, pur plaisir, des évidences, de la perception de nos étonnantes possibilités, par la grâce de l’émotion critique, ou de la réflexion partagée ? Sus au dissensus ?

Au moins, c’est franc.

Le projet « artistique, culturel, citoyen » ne devra pas faire dans l’agit-prop ni dans le débat politique. Trop « citoyen » sans doute. C’est la compagnie Le Tambour des Limbes qui a été choisie. Son codirecteur était le directeur artistique du Théâtre des Déchargeurs, à Paris, qui s’est retrouvé brutalement en liquidation judiciaire, et dont on dit que son propriétaire a l’intention de réaliser une opération immobilière. D’une manière ou d’une autre, elle fera un théâtre politique. Le théâtre est toujours politique. Y compris quand il se prétend sur un autre plan. Mais il est probable qu’il n’y aura pas de débats trop, comment dire…

Jolie Môme demande à pouvoir finir à la Belle Étoile la saison 2023-2024. Un minimum. Somme toute, comme c’était le cas aux Déchargeurs, il y a des gens qui travaillent, des spectacles programmés, et un lieu à trouver pour continuer. Continuer à vivifier.

L’adresse : 14 rue Saint-Just, La Plaine Saint-Denis.

Du 17 novembre au 3 décembre, la compagnie présente le spectacle Révélations ! Les 15-16-17 décembre, Hyper Nova – Événement artistico-politique, en soutien à Jolie Môme ; le samedi sera consacré à des débats et un grand cabaret politique sur le thème : Les ravages de la social-démocratie tendance « kärcher », avec la participation de nombreux politiques, journalistes, responsables d’associations, etc.

Tous les renseignements sur le site.

Evelyne Pieiller

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