Il y a eu un premier texte – « La France Insoumise est-elle anticapitaliste ? ». Et puis une réponse. Qui mérite elle-même une réponse. Et un deuxième avertissement répétant le tout premier : ceci est un débat théorique. Ça fait donc des textes moins « faciles ».
C’est donc Antoine Salles-Papou qui s’y est collé. Même si j’avoue continuer de ne pas comprendre quelle mouche a piqué la FI à vouloir tout soudain se dire anticapitaliste — on ne lui avait rien demandé de tel —, il lui faut bien défendre sa nouvelle revendication maintenant qu’elle l’a lâchée dans la nature. A. S.-P. n’a donc ménagé ni sa peine ni son temps — on lui en sait gré. Quant à la réussite de son entreprise, c’est autre chose. Je le lui dis bien amicalement : il est passé à côté de tous mes arguments, et pas qu’un peu.
Lire aussi Evgeny Morozov, « Le numérique nous ramène-t-il au Moyen Âge ? », Le Monde diplomatique, août 2025.
Technoféodalisme. Pour commencer. Qui pourrait avoir à l’idée de nier la spécificité du capitalisme sous domination des Gafams ? Certainement pas moi — pas une ligne de mon texte ne peut donner la moindre prise à cette interprétation. Me faire dire que « les capitalistes numériques ne font qu’appliquer les recettes de tous les capitalistes depuis le XIXe siècle » ou que « le capitalisme numérique ne présente rien de nouveau (1) » est de la dernière fantaisie. Ma critique portait entièrement sur le recours à la catégorie de « féodalisme » pour qualifier cette nouvelle configuration du capitalisme. Je répète donc l’argument : il est d’une parfaite bizarrerie de recourir à la catégorie désignant le mode de production antérieur pour qualifier une configuration dans le mode de production ultérieur. Dans ces conditions, seul un contresens de lecture assez prononcé pouvait donner mon évocation du capitalisme fossile pour un déni de la spécificité du capitalisme contemporain, quand elle ne fournissait qu’un argument formel, logique, et a fortiori, en remarquant que les critères explicites du « technoféodalisme » trouvaient malencontreusement à s’appliquer tels quels à la période antérieure, pour ce qu’il aurait fallu alors appeler le « pétroféodalisme » — absurdité manifeste, mais logiquement impliquée par le concept de X-féodalisme en l’état.
En réalité, cette histoire « féodale » est tout à fait secondaire. Le cœur de la discussion est ailleurs : le capitalisme vs. ce capitalisme. C’est sans doute ici que l’anamorphose est à son comble. Il faut être bien passé à côté de mon propos pour lui faire reproche de « figer la réalité du capitalisme dans une forme intemporelle et anhistorique ». La référence à la théorie de la Régulation n’était-elle pas suffisamment explicite ? Et la théorie de la Régulation n’est-elle pas une théorie des mutations historiques du capitalisme ? Il était donc un peu hasardeux de questionner mon texte en lui demandant « comment le mode de production capitaliste pourrait être resté le même depuis le XIXe siècle ? ». Un peu ahurissant aussi de lui faire porter au surplus l’idée de « lois immuables du capitalisme ». Bon gars, A. S.-P. suggère bien confraternellement qu’« il n’est pas inutile de mettre à jour les outils théoriques marxiens d’analyse du capitalisme ». No shit Sherlock ? La théorie de la Régulation fait ça depuis juste un petit demi-siècle, avec moi dedans pour une bonne vingtaine d’années.
Concepts (il y en a) et « lois » (il n’y en a pas) du capitalisme
Nous sommes au point d’incompréhension centrale. A. S-P lit « concept », il entend « lois ». Ça ne va pas. On a beau dire et répéter que ces concepts, en tant qu’ils sont sous-déterminés, livrent une abstraction du capitalisme, comme telle inobservable, néanmoins présente dans toutes les formes concrètes, elles observables, du capitalisme, ça ne rentre pas. Il faut donc y revenir.
Lire aussi Grégory Rzepski, « Tout ce qui nous sépare », Le Monde diplomatique, décembre 2024.
Soit, par exemple, le rapport salarial — rapport social central du capitalisme. Quel est le concept du rapport salarial ? Retour à Marx : le concept du rapport salarial consiste : 1) en la double séparation – des producteurs d’avec les moyens de la production et d’avec les produits de la production, 2) en la construction juridique des individus en sujets économiques, porteurs libres d’une force de travail susceptible d’être contractuellement engagée dans des transactions de louage avec un propriétaire de moyens de production. Que tire-t-on empiriquement de ce concept ? Rien. On n’en tire rien car c’est un concept sous-déterminé, précisément. D’un concept sous-déterminé, il ne suit rien d’observable. Pour rejoindre l’empirie, il lui faut des compléments — des compléments de réalisation, sociohistoriques. Par exemple : la double séparation et le sujet travailleur libre peuvent s’instancier — se réaliser concrètement, empiriquement, d’une manière observable — dans la forme historique du rapport salarial fordien. Ou dans celle du rapport salarial qui l’avait précédée, et que les régulationnistes avaient qualifiée de concurrentielle. Ou dans celle qui lui a succédé, à laquelle il faut là encore donner son qualificatif adéquat — disons néolibéral, par défaut. Car tout est dans le qualificatif, qui fait la différence, ou comble l’écart comme on veut, entre le concept sous-déterminé, abstrait et inobservable, et la forme concrète, historique, elle observable. Et ceci, cependant, alors même que le concept est présent dans toutes les formes qui le réalisent historiquement, tout en permettant que cette variété de formes se rapporte à un terme unique, le terme conceptuel, précisément — en l’occurrence : « rapport salarial ». De « concurrentiel » à « néolibéral » en passant par « fordien » : des formes différentes et pourtant chaque fois la même « chose », le rapport salarial, mais évidemment une « chose » d’un autre niveau, située dans un autre plan, plus profond — abstrait. Admettons que c’était un point… conceptuel — pas très facile à comprendre.
Lire aussi Perry Anderson, « De la force des idées », Le Monde diplomatique, mai 2025.
Le pire étant qu’on pourrait (devrait) reproduire à l’identique ce mouvement qui emmène du concept à ses instanciations concrètes pour tous les rapports sociaux du capitalisme. On peut donner par exemple un concept de la monnaie, comme rapport social de confiance soutenant un équivalent général — un concept qui passera sur des formes institutionnelles historiques aussi variées que la monnaie métallique, l’étalon de change or, ou dollar, la monnaie purement fiduciaire, nationale, ou supranationale, avec banque centrale indépendante, ou pas indépendante, etc. Idem pour la finance conceptuellement définie comme ensemble des moyens de détendre la contrainte budgétaire instantanée des agents qui en éprouvent le besoin, disons comme mécanisme général de l’avance, et, par suite, comme rapport général entre des positions respectivement définies comme créancières et débitrices (2). Le croira-t-on : ce concept de la finance, qui ne dit rien des formes concrètes que revêtira la finance parce qu’il est sous-déterminé, n’est pas moins présent en toutes. Et l’on retrouvera donc le concept, le même concept, à l’œuvre dans des systèmes de crédit bancaire, ou des systèmes de marchés de capitaux, ou des hybrides, à degrés très variés de déréglementation, avec des degrés très variés de présence de la puissance publique, etc. Et là encore : chaque fois du différent et cependant chaque fois « la même chose ».
Avoir cru discerner des « lois immuables » dans les concepts du capitalisme était donc spécialement malencontreux quand il fallait y voir tout au contraire un point de dialectique entre la généralité du concept et la variabilité de ses réalisations historiques. Telle a été dès le commencement le lieu où s’est installée la théorie de la Régulation, qui s’est précisément séparée du marxisme orthodoxe sur la question des « lois », dont elle a donné la critique radicale et définitive. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais de « lois », du capitalisme — ou « de l’économie ». Il n’y a qu’une succession historique de régimes d’accumulation, qui chacun réalise d’une manière particulière l’ensemble des rapports sociaux (conceptuels) du capitalisme, et se présente sous l’espèce d’un ensemble, non de lois, mais de régularités macroéconomiques contingentes et temporairement stabilisées. Et c’est tout.
Le toujours plus gros tas de fric – ou la propriété lucrative
Le malheur, convenons-en, est qu’il faut se taper tout ça pour rendre raison de l’erreur à la fois théorique et stratégique de la FI et de son « anti-capitalisme ». Que la critique d’A. S.-P. parviendra difficilement à remettre debout, en tout cas sur la base de ses objections présentes — mais on serait très preneur d’une autre réfutation, pourvu qu’elle porte sur le site véritable de la discussion. Il faut se taper tout ça, en effet, puisque « tout ça » renvoie précisément à ce qu’il y a lieu de comprendre de la distinction entre « le » capitalisme et « ce » capitalisme. Je redis donc ceci : s’en prendre à « ce » capitalisme, mais saisi uniquement en ses caractères idiosyncratiques (littéralement secondaires : qui ne veut pas dire « pas importants » mais « qui viennent en second), s’en prendre à « ce » capitalisme, donc, sans voir qu’il y va de « le » capitalisme, pourtant nécessairement inscrit en lui, est un rêve de singe — ou bien une légère malversation politique. À moins que ce ne soit une pure et simple tautologie : en abattant « ce », on abat ipso facto « le », en quelque sorte dans le même mouvement. Encore faut-il que « le », dans « ce », on l’abatte vraiment. Il est certain en tout cas que le combat politique ne se tient pas dans le ciel des concepts, mais dans le plan des choses empiriques, qui sont les seuls objets réels de confrontation. Dans l’époque présente, ce à quoi nous nous en prendrons donc, c’est bien, ça ne peut être que, le capitalisme présent. Et personne n’a dit le contraire.
Si maintenant A. S.-P. veut nous faire avaler qu’en collectivisant les réseaux (numériques et autres) l’affaire est faite, on lui répondra que minute papillon. Car, une fois de plus, il n’aurait pas tout à fait bien lu le « vraiment » de « abattre vraiment ». Que veut dire « abattre vraiment » ? A. S.-P. veut du concret — il le redit assez. On va lui en donner. Il y a dans la Déclaration des droits de l’homme, comme on sait intégrée dans le bloc de constitutionnalité, un article 2 qui dit ceci : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Sortir du capitalisme, mon cher Antoine, c’est tout simple — je veux dire du point de vue de l’identification du « concret ». Il « suffit » de réécrire cet article ainsi modifié : « Ces droits sont la liberté, la propriété, à l’exception des moyens de production et d’une manière générale de tout ce qui excède les possessions personnelles entendues comme non-lucratives, etc. » Du concret plus concret, franchement je ne vois pas. Maintenant, vas-y on te regarde — un avis amical en passant : ça s’annonce plus coton que la collectivisation des réseaux.
Il va falloir ça, je suis désolé de persister, car on ne voit pas en quoi les réseaux collectivisés empêcheraient le moins du monde la poursuite de l’extractivisme, ou de la production des voitures, de ses mirifiques promesses par exemple de renouveler entièrement le parc automobile mondial pour passer au tout électrique, puis au véhicule autonome, puis à la voiture volante, ou de la production des appareils électroniques les plus variés, venus des bagnes usiniers de quelque pays lointain, bourrés de terres rares piochées dans on ne sait pas quelles conditions, mais qui nous permettraient de jouir des « réseaux collectivisés » lesquels nous donneraient la sensation grisante d’être sortis du capitalisme. Alors que pas tout à fait.
Normalement, cher Antoine, tu devrais commencer à voir ce qui déraille dans ta réfutation. Il se trouve que le fin mot de ce déraillement est, littéralement, le premier mot du Capital — il n’y avait pas à aller chercher très loin. « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une immense accumulation de marchandises ». Il était fort le pépé quand même. Parce que là tout est dit — en l’occurrence même touché-coulé, je crois bien. Inscrit au tréfonds de ses rapports sociaux constitutifs — la propriété privée des moyens de production (comme de la rente), la monnaie et la marchandise — il y a la quintessence du capital. Qui est quoi ? Qui est l’accumulation indéfinie. Pourquoi indéfinie ? Pour faire un toujours plus gros tas de fric (comme aime à dire mon camarade Portalez ©). Marx, lui, dit : A-M-A’ — c’est moins fleuri.
Là encore, d’une certaine manière, nous avons affaire à un énoncé sous-déterminé. Quels pourraient en être les compléments qui, en quelque sorte, opérationnalisent le toujours plus gros tas de fric ? Eh bien par exemple la concurrence. La concurrence que se font les capitalistes passe notamment par l’innovation, en vue de la capture de la plus grande part de marché — telle est la clé du toujours plus gros tas de fric. Un article récent nous apprend ainsi que, dans l’électro-ménager, l’innovation est devenue un facteur décisif (!). J’ai découvert que mon frigo neuf avait le bluetooth — en suis resté interdit. Bientôt ton grille-pain te parle. Chez une connaissance, je suis tombé sur une bouilloire avec tellement de voyants, d’écrans (!) et de touches que j’ai été incapable de me faire de l’eau chaude. Elle non plus d’ailleurs. Moyennant quoi elle en a racheté une autre : une avec juste le machin en plastique, on appuie et puis ça chauffe. Ça allait très bien comme ça. Mais comme toujours les capitalistes ont fait autre chose — pour la concurrence-innovation-part de marché-plus gros tas de fric. Splendide résultat : deux bouilloires achetées au lieu d’une. On voit assez tout ce qu’il y a comme circuits intégrés, cristaux liquides, capteurs variés dans la nouvelle saleté. C’est le doublet concurrence-innovation qui renouvelle en permanence le parc des objets — et emporte, irrésistiblement les capitalistes eux-mêmes, par la lutte acharnée qu’ils se font mutuellement sur ce front-là. Et c’est ça le pilote de « l’immense accumulation de marchandises », enfermé dans la cabine comme dans un avion de la Germanwings (« Ouvre cette putain de porte ! » – tu te souviens comment ça finit). Tant que la propriété privée des moyens de production, son branchement direct sur l’argent à faire croître indéfiniment, n’auront pas été abattus, les humains continueront de subir l’infâme exploitation et la terre d’être dévastée. Et nos réseaux numériques collectivisés n’y pourront rien.
La productivité de la Terre ?
J’insiste sur ce dernier point pour conclure. J’insiste car l’impératif écologique est une chose dont on doit créditer la FI sans la moindre réserve. Et j’insiste car votre anticapitalisme de façade vous jette ici dans une colossale inconséquence. L’« immense accumulation de marchandises » comme propre, comme quintessence, du capitalisme, et tout ce sur quoi elle repose, est là, à l’image de ma bouilloire transformée en navette spatiale, pour te convaincre, Antoine, qu’il n’y aura pas de salut écologique hors de la sortie du capitalisme. Mais la vraie sortie : celle qui retire des mains des puissances privées lucratives et les moyens de la production et la capacité de piloter la division du travail — autre chose que « les réseaux ».
Je vais le dire d’une autre manière, mais pour souligner un argument qui, je crois, n’est pas encore très bien aperçu. Il y a longtemps — longtemps… —, le camarade Bruno Amable, bien, connu de vos services, avait fait un très beau mémoire de DEA (ainsi disait-on pour Master) sur les fonctions de production KLEM. Il s’agissait d’une généralisation des habituelles fonctions de production à deux facteurs : K le capital, L le travail. E et M venaient pour dire qu’il fallait aussi faire entrer dans les facteurs de production l’énergie et les matériaux variés. C’est-à-dire des intrants puisés dans la nature. Je suggère de les réunir sous la lettre T — comme Terre : ces intrants sont puisés sur la Terre. C’est assez drôle car on pense immanquablement à cette autre phrase de Marx qui dit ceci : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : le travail et la terre ». Les deux sources : L et T.
Bien sûr un économiste orthodoxe qui passerait par-là glapirait aussitôt « Et K ! Et K ! ». Marx lui avait répondu par anticipation — mais les économistes orthodoxes sont trop incultes, regarde seulement à qui on donne le prix Nobel —, et il avait répondu que le capital (K), c’est du travail (L) ! Mais « du travail mort », dit-il. Je n’ai jamais aimé cette expression — je bute sur « mort » —, même si le sens en est limpide : les équipements capitaux sont des incorporations de travail passé. Pour ma part, je préfère dire que le capital est du travail cristallisé. Au total, en tout cas, une fonction KLT, c’est une fonction LT : le travail, vif ou cristallisé, et la terre — rien d’autre.
Lire aussi Cédric Gossart, « Quand les technologies vertes poussent à la consommation », Le Monde diplomatique, juillet 2010.
Et voilà maintenant l’histoire que te racontent la « transition » et le « capitalisme vert », aimablement relayée par ce qu’il faut d’intellectuels anti-marxistes de principe, par-là objectivement voués à finir en intellectuels d’accommodation, possiblement de service — typiquement Pierre Charbonnier : « on va faire des progrès ». Des progrès de quoi ? De productivité bien sûr. Avec plein d’innovations, on va augmenter la productivité de l’intrant « Terre », tout de même qu’on a en longue période augmenté celle de l’intrant « travail ». En d’autres termes, nous aurons moins à puiser sur la Terre à production constante. Mais où a-t-on jamais vu, dans le capitalisme, que les gains de productivité étaient utilisés à réduire la quantité d’intrants à production constante ? Ils sont faits pour exactement l’inverse : augmenter la production à quantité d’intrants constante. Et en réalité pour augmenter au carré la production en augmentant encore les intrants terrestres. Fouissant comme des porcs. Pour que croisse encore le gros tas de fric. Et ceci exactement comme il s’en est suivi avec les gains de productivité du travail. Keynes attendait du développement technique qu’il nous autorise à réduire fabuleusement le temps de travail — mais Keynes s’est remarquablement foutu dedans : il n’était pas marxiste. Inutile d’objecter que le temps de travail s’est effectivement réduit en longue période : il n’en a été ainsi que sous l’effet de luttes sociales et politique acharnées. En dehors de quoi : rien. Il en ira de même avec tous les gains de productivité du facteur T.
Pour qu’il en aille différemment, pour que l’emprise sur la Terre soit en effet réduite, il n’y aura pas d’autre solution que de maintenir coercitivement la production constante — en fait de la placer sur une trajectoire de (très) sérieuse décroissance. « Sortie du capitalisme », c’est-à-dire « communisme », est l’unique sens qui sauve « décroissance » du ridicule — ou de l’hypocrisie . Or, la logique même du capitalisme s’y oppose fanatiquement.
J’espère maintenant, cher Antoine, que tu distingueras un peu plus clairement le cœur de mon argument. Tu dois bien voir que la collectivisation des réseaux, et même l’arraisonnement de tous les Gafams du monde (?), ne feront pas du tout le compte. Et ceci faute d’en être revenu aux choses fondamentales, celles que tu trouves si abstraites alors que, si on sait les regarder adéquatement, quoiqu’en effet conceptuelles, un terrifiant concret s’y laisse discerner. Je dois te dire que j’ai toujours trouvé un peu attristants les avertissements aux égarements dans « les concepts ». En réalité, il n’y a pas de catastrophe politique et stratégique qui ne soit la suite plus ou moins lointaine d’erreurs conceptuelles. Puisque tu aimes à citer Lénine — je t’avoue que ça m’a bien fait rire — je te rappelle qu’en 1914, Lénine se retire pour méditer le désastre nationaliste des prolétariats jetés les uns contre les autres. Et sais-tu quel mot d’ordre il se donne à ce moment ? « Relire Hegel ». Avoue que ça a autant de gueule que de quoi désarçonner les amis du « concret ». Dont on ne pourra décemment pas dire que Lénine ignorait tout.
Tu connais aussi ce mot de Sade, offert à toutes les déclinaisons : « Encore un effort pour être… ». J’ai bien sûr été tenté de te/vous le resservir : « … pour être anticapitalistes » — parce que « républicains », ça va, on ne viendra pas vous chercher là-dessus (hormis le chiendent fasciste qui, il est vrai, prolifère en tous sens ces temps-ci). Et puis il m’est venu une référence évidente, énorme, irrésistible tant elle est faite pour vous parler. Si vraiment vous avez le projet de devenir anticapitaliste, je crois que vous devez : faire mieux.



