Au Théâtre des Déchargeurs, Viviane Théophilidès fait revivre la figure de Rosa Luxemburg, interrogeant et confrontant son époque et la nôtre à travers une forme cabaret, joyeuse et engagée.
Lire aussi Serge Halimi, « De Santiago à Paris, les peuples dans la rue », Le Monde diplomatique, janvier 2020.
Donner à entendre la parole de Rosa Luxemburg, révolutionnaire allemande d’origine polonaise qui paya de sa vie son engagement politique, crée toujours un puissant effet d’interpellation. C’est ce que l’on expérimente dans Rosa Luxemburg Kabarett, sous-titré « Je reviendrai et je serai des millions », écrit et mis en scène par Viviane Théophilidès, avec un quintette d’acteurs, faisant revivre la figure de Rosa Luxemburg à son époque et à la nôtre, en interrogeant son double contemporain sur le dévoiement du communisme et sur les luttes actuelles. Un point de vue lumineux qui mène la pièce au-delà d’une démarche documentaire et historique (même si l’écriture, toute en finesse et densité, en passe forcément par là) et l’inscrit dans un questionnement dialectique sur les révolutions/convulsions d’aujourd’hui au Proche-Orient, au Chili, en Grèce ou en France.
Militante socialiste, théoricienne du marxisme (L’accumulation du capital, 1913), critique des conceptions autoritaires de Lénine, Rosa Luxemburg milite avec passion contre le déclenchement de la première guerre mondiale. Son discours de septembre 1913, à Francfort sur-le-Main, où elle appelle les ouvriers allemands à ne pas prendre les armes contre leurs frères de classe d’autres nationalités, lui vaudra d’être emprisonnée pour « incitation publique à la désobéissance ». La désobéissance sera la ligne de conduite de sa trop courte vie. En rupture avec les sociaux-démocrates allemands qui votent les crédits de guerre — « Le monde entier est soudain devenu un asile de fous », écrivait-elle —, elle fonde avec Karl Liebknecht et d’autres militants, inspirée par la révolution russe, la Ligue spartakiste, en référence à la révolte des esclaves conduite par Spartacus à l’époque romaine (1). Emprisonnée à plusieurs reprises, libérée à la faveur de la révolution de novembre 1918, elle s’engage dans un processus de « radicalisation » qui va aboutir à la formation du Parti communiste d’Allemagne (KPD) et à une tentative d’insurrection qui sera violemment réprimée. Elle sera assassinée à Berlin le 15 janvier 1919, en même temps que Karl Liebknecht, par des membres des corps francs, milices paramilitaires.
C’est Sophie de La Rochefoucauld qui incarne une Rosa passionnée et passionnante, une « Rosa la rouge » qui avait fait de sa philosophie — « L’énergie révolutionnaire la plus impitoyable et l’humanité la plus généreuse voilà qui inspire le vrai socialisme » — une ligne d’horizon, en liberté comme en prison. À ses côtés, outre Viviane Théophilidès, Anna Kupfer, chanteuse à la voix puissante, Géraldine Agostini au piano et à tous les arrangements musicaux, Bernard Vergne et la voix enregistrée de Michel Touraille. Ensemble, composant un chœur joyeux et soudé, ils parcourent différentes étapes de sa vie et éclairent les formes de résistance, notamment l’écriture et l’observation de la nature, qui lui permirent de traverser les divers séjours en prison qui servent de cadre au décor fictif où évolue Rosa.
Lire aussi Hélène Richard, « Octobre 1917, quand la révolution doute », Le Monde diplomatique, octobre 2017.
Mêlant adresses au public, saynètes dialoguées, chants tzigane et yiddish, poèmes de Prévert ou de Louise Michel, ainsi que des chansons originales de Viviane Théophilidès, le spectacle se construit avec des ruptures de style et de temporalités où viennent se confier les interprètes, en leur propre nom ou convoquant la parole d’autres artistes comme Marguerite Duras ou Bertolt Brecht.
Dans l’une des lettres de prison qu’elle adressa à Sonia Liebknecht, son amie très chère et épouse de Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg écrivait : « Nous vivrons et nous verrons se reproduire des événements grandioses. Pour l’instant, nous assistons à l’effondrement du vieux monde qui croule par pans entiers, jour après jour. Ce qui est le plus surprenant, c’est que la plupart des gens ne s’en aperçoivent pas et croient marcher encore sur un sol ferme ». Une vision prémonitoire qui résonne fortement.
Rosa Luxemburg Kabarett
Jusqu’au 1er février.
Au Théâtre des Déchargeurs
3, rue des Déchargeurs / 75001 Paris
Tél. : 01 42 36 00 50