«Alors, on sort la grosse artillerie ? On joue à la guerre ? La peste est de retour ? La France a peur ? », etc. Sur certains blogs, on s’est déchaîné : pour traiter du virus, certes inquiétant et imprévisible, mais dont l’extension est relativement maîtrisée pour le moment, des « conseils de santé » n’auraient-ils pas fait l’affaire, comme il y a depuis l’an dernier des « conseils de défense écologique » ?
Lire aussi Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020.
Plus simplement, on aurait pu se contenter de réunions « de crise » sous les auspices du ministère de l’intérieur, grand ordonnateur des plans ORSEC (Organisation de la réponse de sécurité civile), Blanc, Bleu, Biotox, Piratome, etc., avec les préfets, les SAMU, les hôpitaux, les sapeurs-pompiers militaires et civils, le SSA (Service de santé des armées) et sa Pharmacie centrale, et le support de la médecine de ville, du réseau des pharmacies, des gendarmes et policiers (1).
Mais, quand l’Élysée lui-même prend la tête du grand combat contre l’hydre malfaisante, et quand le souverain consulte dans le secret son « conseil de défense », ça sent la poudre, la bataille… et la « com’ » ! On imagine aussitôt les armes, les plans, les tenues, les forces mobilisées — même si, in fine, comme ce fut le cas dimanche soir, les deux heures de conseil n’ont débouché que sur une mesure-phare : l’interdiction des rassemblements de plus d’un millier de personnes, sauf dans les transports et autres rassemblements « utiles à la vie de la nation ».
De même, quand Sa Grandeur convoque en son Palais la crème des chercheurs d’antivirus, comme il l’a fait jeudi dernier, ou que lui-même, bizarrement immunisé, multiplie les visites d’établissements hospitaliers, il montre qu’il a le souci de la survie de son peuple. Appeler l’opinion à la résilience, lui faire accepter les sacrifices en ces moments d’incertitude et de danger diffus, jurer que l’État est préparé et en ordre de bataille, est dans doute ce qu’une société attend, a minimma, de ses dirigeants.
Bon sens
Mais pour ces gouvernants, faire preuve de compassion et d’efficacité au moins partielle dans la lutte contre le fléau, est surtout une nécessité politique, au moment où la mobilisation contre l’épidémie renvoie au second plan les funestes municipales, la désagréable cuisine gouvernementale sur les retraites, les intraitables gilets jaunes… et même les protestations des blouses blanches, ramenées d’un coup à leur devoir de solidarité et à la grandeur de leur vocation, en même temps que soudain — épidémie oblige ! — les caisses de l’État leur sont ouvertes.
Lire aussi Bruno Canard, « Des treillis sous les blouses blanches », Le Monde diplomatique, décembre 2014.
Personne ne soutiendra qu’il est facile de trouver le bon équilibre entre les mesures progressives et « proportionnées » qui ne créent ni la panique, ni la désorganisation sociale et économique du pays, et des propos ou décisions qui seraient plus alarmistes, mais plus en phase avec les inquiétudes de larges pans de l’opinion, à l’image des mesures drastiques mises en œuvre chez le voisin italien. Le président Macron, déjeunant vendredi dernier à Paris avec des personnes âgées dans un Ehpad (2), avait justement encouragé à « ne pas se départir de bon sens », rappelant qu’on gère chaque année des épidémies de grippe qui font jusqu’à 9 000 à 10 000 morts (3). Il n’avait pas caché que la lutte en France contre l’épidémie passerait forcément, dans les jours à venir, par une phase 3, qui ne correspondrait toutefois pas un arrêt de toute activité — à la différence là encore, du schéma en vigueur pendant plusieurs semaines pour le tiers nord de l’Italie.
Fallait-il, pour autant, paraître tout ramener à l’auguste président, quand tant d’experts au ministère de la santé, dans les hôpitaux et les organismes de recherche, et jusque dans les armées, peuvent incarner, expliquer, conduire un tel combat antiviral bien mieux sans doute que la plupart des politiques, lesquels souvent n’ont pas ou plus les moyens de leurs ambitions et ont perdu l’habitude — s’ils l’ont jamais eue — de tenir tête aux laboratoires pharmaceutiques, à la médecine libérale, aux intérêts capitalistes en tout genre ?
Offensives répétées
On ne niera pas l’aspect sécurité, au sens large, qui découle de ces épidémies. Elles ont eu tendance à se multiplier ces dernières décennies, avec une nouvelle offensive tous les deux ou trois ans : H1N1, grippe aviaire, sida et, plus récemment, Ebola en Afrique de l’Ouest, qui a paralysé l’économie de la Guinée, du Libéria et de la Sierra Leone, l’épidémie de coronavirus MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient) qui a lourdement pesé sur l’économie de la Corée du Sud, ou le virus Zika, qui s’est propagé sur le continent américain, mettant en danger des milliers de fœtus. Selon certains calculs, le coût mondial des pandémies moyennement sévères et sévères se chiffre ces dernières années à environ 570 milliards de dollars par an, soit 0,7 % du PIB. Une pandémie d’une ampleur aussi grave que la grippe espagnole de 1918 pourrait coûter jusqu’à 5 % du PIB mondial, c’est-à-dire près de 4 000 milliards de dollars. La Banque mondiale a calculé que, sur la dernière décennie, les pandémies auront coûté plus que l’ensemble des catastrophes et guerres.
Lire aussi Dominique Kerouedan, « Comment la santé est devenue un enjeu géopolitique », Le Monde diplomatique, juillet 2013.
Les actuels conseils de défense, qui existent en France sous cette forme depuis décembre 2009, ont certes compétence, outre les grandes questions de défense, pour apporter des réponses aux crises majeures de sécurité intérieure. Ils peuvent être réunis :
• en format restreint, comme c’est le cas des conseils quasi-hebdomadaires assurés sous la présidence Macron, notamment pour suivre les dossiers antiterroristes et les conflits en Syrie-Irak et au Sahel ;
• ou en formations spécialisées : Conseil national du renseignement, Conseil des armements nucléaires, Conseil de défense écologique.
Jusqu’à ces dernières semaines, ces conseils n’avaient jamais eu à traiter des questions de santé publique. Leur composition a été modifiée en conséquence. Avait-on besoin de ce type d’institution à la fois solennelle et secrète, émanation du pouvoir suprême, pour apprendre à mieux se laver les mains ?
Le « vrai du faux » de la Grande Muette
Les temps du nouveau coronavirus sont au paradoxe. Voilà que la « grande muette » prend l’initiative officielle de « démêler le vrai du faux ». Dans un communiqué à la tonalité inhabituelle, le 3 mars dernier, le ministère des armées affirme que de nombreux médias ont relayé des informations selon lui erronées sur la transmission du virus dans l’Oise :
• NON, les militaires de l’escadron Esterel [l’unité de l’armée de l’air qui mobilise des appareils Airbus et Falcon pour le transport de militaires ou d’autorités gouvernementales sur de longues distances] qui ont réalisé l’opération de rapatriement Wuhan-Paris le 31 janvier 2020 n’ont pas ramené le coronavirus de Chine. Le personnel ayant participé à cette opération était équipé de masques de type FFP2 ; à l’aéroport de Wuhan, l’équipage de l’escadron Estérel est resté à bord de l’avion pour accueillir les 193 ressortissants français, tous asymptomatiques. Aucun membre de l’équipage n’est entré sur le territoire chinois. Au retour de l’avion, l’équipage a bénéficié du protocole de surveillance durant 14 jours passés à domicile, et aucun n’a présenté de symptôme.
• NON, il n’y a aucun lien entre ce vol Wuhan-Paris et la transmission du coronavirus dans l’Oise. Les 193 passagers du vol, asymptomatiques, ont été confinés durant 14 jours dans un centre de vacances à Carry-le-Rouet. Chaque passager a fait l’objet d’un suivi clinique étroit et s’est soumis à un test diagnostic du coronavirus Covid-19 avant la sortie du centre où ils étaient confinés. Les 193 tests biologiques sont revenus négatifs. Aucun des passagers n’était donc malade. L’enquête épidémiologique en cours dans l’Oise a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre le vol de retour de Wuhan et le « patient 0 » de l’Oise.
• NON, aucun personnel de l’Escadron Esterel n’a fait d’intervention au collège ou au lycée de Crépy-en-Valois au mois de février. Contrairement à des affirmations qui circulent sur les réseaux sociaux, aucun personnel de l’escadron Esterel de la base aérienne de Creil ayant participé au rapatriement de ressortissants français entre Wuhan et Istres n’a donné de conférence ni au collège ni au lycée de Crépy-en-Valois au cours du mois de février.