Véritable institution, mondialement connu, le festival des Francophonies en Limousin, créé à Limoges en 1984 par Pierre Debauche et Monique Blin, a été confié à Hassane Kassi Kouyaté qui succède à Marie-Agnès Sevestre. Il vient d’en orchestrer la 36e édition placée sous le signe de la création et de la formation.
Né en 1963 au Burkina Faso, issu d’une famille de griots — il est le fils de Sotegui Kouyaté, acteur fétiche de Peter Brook —, auteur, metteur en scène et acteur, il dirigeait jusqu’ici la scène nationale de Martinique Tropiques Atrium et a une large expérience des scènes d’Afrique où il a contribué à créer plusieurs festivals. Pour Hassane Kouyaté, « l’espace francophone n’est pas la francophonie institutionnelle mais s’étend à toute œuvre créée à partir de la langue française. Ce qui peut nous amener jusqu’en Malaisie ou au Japon… » Si pour lui « le présent et le futur tètent au même sein que le passé », il n’en a pas moins une vision décidée et novatrice pour Les Francophonies dont il veut faire un laboratoire des écritures (jusqu’à) à la scène et favoriser les résidences d’artistes tout au long de l’année. Un premier temp fort, les Zébrures d’automne, vient de se dérouler du 25 septembre au 5 octobre, avec du théâtre, de la danse, du cirque, des documentaires, lectures et poésie, et de nombreux concerts. Le second, les Zébrures de printemps, annoncées du 20 au 29 mars 2020, mettront en lecture scénarisée des textes inédits à découvrir dans de multiples lieux.
Lire aussi Boubacar Boris Diop, « Francophonie : le dilemme des écrivains africains », Le Monde diplomatique, mars 2017.
En attendant l’affirmation de son projet, censé être doté de moyens conséquents selon les déclarations de la ministre de la culture Françoise Nyssen à sa nomination en 2018 — qui allait par ailleurs entreprendre de sacrifier au même moment le Tarmac, l’espace de création francophone à Paris —, Hassane Kouyaté s’est emparé de Limoges et ses alentours. Il a investi l’ancienne caserne Marceau, promise depuis des années à du logement social qui ne voit pas le jour. Pour l’heure, il en a fait le poumon logistique du festival et y a programmé des rencontres, débats, lectures qui ont permis la confrontation avec les professionnels, les artistes et le public. « Ce n’est pas la virtuosité qui m’intéresse mais le propos qui va nous aider à comprendre le monde dans lequel nous sommes ». Des propos dépliés sur une vingtaine de lieux sous toutes les formes, dont des duos entre un musicien et un poète qui ont rencontré une véritable écoute. Des concerts qui ont fait salle pleine comme le BIM (Bénin International Musical), un collectif d’artistes qui se réapproprient les rythmes vaudous et les chants traditionnels béninois dans des fragrances trip-hop, pop-rock, et électroniques. Ou N3rdistan, un des premiers groupes de rap libertaire et contestataire créé au Maroc à la fin des années 1990.
Pour le théâtre, Jours tranquilles à Jérusalem, de Mohamed Kacimi (Riveneuve, 2017) mis en scène par Jean Claude Fall revenait sur le processus de création de Des roses et du jasmin avec le théâtre national palestinien par le directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry Adel Hakim, décédé en 2017. Le dramaturge en avait accompagné la difficile création en 2014 à Jérusalem. Il avait tenu la chronique de la vie des acteurs sous occupation et de la difficulté de leur faire jouer l’histoire du conflit israélo-palestinien depuis l’époque du Mandat britannique jusqu’à la première Intifada, tel qu’il put être éprouvé par deux familles, juive et arabe.
Avant sa création en décembre à la MC93 de Bobigny, Catherine Boskowitz, donnait Le pire n’est pas (toujours) certain, inspiré des Frères migrants de Patrick Chamoiseau. La metteuse en scène a longuement travaillé avec différents groupes d’hommes et de femmes qui ont connu un parcours migratoire éprouvant et nourri les récits fictionnels et surréalistes auxquels elle a abouti pour mieux cracher sa révolte et sa colère.
On s’est aussi attaché à Cœur minéral, un spectacle québeco-guinéen mis en scène par Jerôme Richer à partir du texte de Martin Bellemare (Dramaturge Éditeurs, 2019). La pièce, dont le sous-titre est : Intérêts et contre-parties : la pépite que nous sommes » évoque, à partir de faits réels, la destruction d’un village guinéen par une société d’exploitation minière québécoise qui, pour s’emparer du fer, de la bauxite et de l’or de la région, n’hésite pas à détruire tout l’écosystème. L’auteur a bénéficié d’une résidence internationale d’écriture à Conakry en 2017 et le texte a été créé à Limoges pour cette édition avec la Compagnie des ombres et les acteurs Morciré Bangoura, Moïse Bangoura, Fidele Baha, Ashille Constantin, Adrian Philip, Fatoumata Sagnane Condé. Une conteuse nous guide dans les méandres de cette histoire qui met en jeu la mise à mort des populations : « Kouroussa. Dans l’est du pays. Partout des trous. Des trous partout. À ciel ouvert. Plus de bétail. Plus d’arbres. Plus d’oiseaux. Plus d’enfants. Des trous qui restent des trous. Un sol lunaire à Kouroussa. » Avec juste des caisses de bois de toutes les tailles qu’ils manipulent pour composer les lieux et les situations, les comédiens interprètent tous les personnages avec rage et humour — Boubacar, employé de la multinationale qu’on envoie au village de ses parents comme médiateur, Mory, un journaliste, qui mène la mise en accusation : « Vous roulez sur les champs. Vous jetez les maisons par terre. Vous démolissez les équipements. Vous chassez les mineurs et les familles »… Pour avoir dénoncé ces crimes — une cinquantaine de personnes disparues — et les connivences avec l’État, lui aussi y laissera la vie.
Il ne faut pas non plus passer à côté de Maloya, mis en scène par David Gauchar, dont le texte est à paraître en novembre aux éditions Paradoxe. Sergio Grondin y interprète, avec le musicien Kwalud, une épopée magistrale dans la langue créole dont il interroge le statut à l’occasion de la naissance de son fils. Un parcours introspectif raconté sur le fil des souvenirs qui affleurent. Une gamine devenue muette parce que ses parents ne lui parlaient plus du tout pour qu’elle apprenne le français « comme il faut » à l’école. Georges, qui affirme que « le seul objectif qu’on assigne à l’économie de l’île [de la Réunion] c’est d’être au service des besoins de la métropole ». Ou Anny encore : « Le problème c’est qu’on a trop mis dans la tête des gens que le créole était sale, que c’était une langue de kaf, de noir. » Pour Sergio Grondin, le créole est un chant, un souffle, une musique qu’il transmet comme une fièvre. Au sol, de simples petits panneaux avec le nom des personnes convoquées dans cette évocation. Et puis la langue fleuve, la langue volcan d’Édouard Glissant et sa réflexion sur ce qu’il appelle le « chaos-monde » : « Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, l’ambiguïté saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées ouvertes, des pensées créoles ».
Zébrures de printemps
Du 20 au 29 mars
Tél. : 05 55 10 90 10
www.lesfrancophonies.frSpectacles en tournée :
• Le pire n’est pas (toujours) certain : 28, 29 et 30 novembre 2019 — Collectif 12 - Mantes-La-Jolie et du 10 au 22 décembre à la MC 93 de Bobigny.
• Cœur minéral : 9 au 20 octobre 2019 au Théâtre Pitoëff (Genève). Du 14 au 23 novembre au Festival Univers des mots. Du 27 novembre au 1er décembre à L’Oriental (Venay, Suisse). Du 17 au 21 mars 2020 à Usine C (Montréal).
• Maloya : nombreuses dates du 7 novembre 2019 à Rumilly (74) jusqu’au 12 et 13 mai 2020 à Saint Quentin en Yvelines.