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Ombres chinoises

par Jean-Maurice Rocher, 27 janvier 2020
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La Marcheuse
© Folamour - Vito Films Film

Les relations cinématographiques entre la Chine et la France, depuis une décennie, sont nombreuses et de nature diverse. Alors qu’aux États-Unis, dont les liens économiques avec la Chine sont sous tension, on note plusieurs docu-reportages, peut-être pour tenter une détente (1), en France, où cette problématique n’existe pas, c’est un certain nombre de fictions qui semblent témoigner d’un intérêt pour ce pays, ses citoyens, sa culture, voire sa langue. Mais la plupart de ces films jettent-ils véritablement aux oubliettes les stéréotypes dont la scène classique du « cinéma de papa » au restaurant chinois est l’archétype — avec maniement de baguettes burlesque, incompréhensions linguistiques entre serveur et client, et image de fille nue au fond du verre de liqueur offert par la maison ?

Lire aussi Jean-Louis Rocca, « Maquiller une guerre commerciale en choc des civilisations », Le Monde diplomatique, novembre 2019.

Concernant la comédie populaire française, le constat est global : à de très rares exceptions, le genre est toujours à l’heure actuelle incapable de s’extraire des clichés culturels et sociaux. Certes, aujourd’hui, on ne verra plus un individu d’origine chinoise ouvertement moqué pour son accent, son physique, ou pour de supposés traits culturels. En revanche, si les scénaristes, qui tiennent pour l’essentiel les rênes des comédies, cherchent à désamorcer un certain nombre de clichés qu’ils jugent éculés, ils se montrent incapables de ne pas y faire référence, et en proposent discrètement d’autres qui leur semblent sans doute plus vraisemblables. Made in China de Julien Abraham (2) est intégralement construit sur ce canevas. On nous appelle à rire du benêt qui croit que tous les Chinois mangent du chien, de la fille qui pense qu’un Asiatique débarquant dans une soirée est forcément un livreur, mais pas en revanche du père qui représente le noyau dramatique du film, dirigeant une « tontine » dans le quartier chinois, endossant le rôle de patriarche chinois obtus se sacrifiant pour le collectif familial. Chassez le cliché par la grande porte, il revient par la petite !

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Made In China
© Mars Films

Le milieu de la prostitution chinoise à Paris suscite également l’inspiration des réalisateurs français. La Marcheuse de Naël Marandin, entre polar et film social, et plus récemment Les Fleurs amères d’Olivier Meys (3), film naturaliste, suivent les affres blêmes de prostituées chinoises vivant de manière illégale en France. Outre que ces films ne présentent pas de qualités artistiques évidentes, leurs fictions rattachent encore, dans un mélange de fascination primaire et de vague description critique du fonctionnement sordide de la prostitution, le corps asiatique féminin à un vieux fantasme sexuel exotique qui lui colle à la peau.

Dans Voyage en Chine (4), qui conte les péripéties d’une mère française partie à la recherche de la dépouille de son fils, décédé dans un accident de voiture en Chine, Zoltan Mayer essaye de proposer un portrait contrasté du pays, à la fois toujours ancré dans les traditions à la campagne, mais aussi plus moderne en ville… en particulier à travers les architectures et le fameux train à grande vitesse. Problème : ces composantes ne sont autres que les nouvelles cartes postales convenues du pays, que l’on retrouve, du reste, dans Le Promeneur d’oiseau de Philippe Muyl (5). Dans l’autre sens, l’auteur chinois Wang Chao, lorsqu’il vient filmer le catastrophique Looking for Rohmer (6) pour partie en France, baigne et noie son film dans le folklore de tour operator. Au folklore tibétain de la partie chinoise, répond le folklore provençal de la partie française. Seule la démarche documentaire semble échapper à cette tendance par l’intermédiaire d’Antoine Boutet qui est allé en Chine filmer Sud Eau Nord Déplacer (7) pour enregistrer l’évolution du projet pharaonique de déplacement d’eau donnant son nom au film. Échappant probablement au cahier des charges des autorités sur place, il rapporte de la Chine des réflexions et des représentations non prévisibles.

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Le grand méchant renard et autres contes
© FOLIVARI / PANIQUE !/ STUDIOCANAL / RTBF - OUFtivi / VOO / Be tv

Enfin, certains films récents incluent quelques séquences incongrues en langue chinoise, espérant peut-être se voir faciliter l’obtention du rarissime sésame : une diffusion dans les salles en Chine. C’est, par exemple, le cas du film d’animation réussi Le grand méchant renard et autres contes… (8) de Patrick Imbert et Benjamin Renner. La récente visite d’Emmanuel Macron en Chine, accompagné de l’acteur-réalisateur Guillaume Canet qui préparait le terrain pour la réalisation et la diffusion de son futur Astérix et Obélix, L’Empire du Milieu, laisse assez voir les manœuvres économiques et la potentielle putasserie artistique (il est fort à craindre que ce film utilise une BD populaire pour véhiculer quantité de clichés sur la Chine — et la France — afin de faire des entrées) auxquelles le cinéma français risque de céder dans les prochaines années pour se tailler une part du gâteau dans le gigantesque marché chinois.

Jean-Maurice Rocher

(1C’est le cas d’American Factory (Robert Allen et Wang Junming, sorti sur Netflix le 21 août 2019, lire « Trafic de données) ou de Better Angels (Malcolm Clarke, sorti aux USA le 2 novembre 2018).

(2Sorti en France le 26 juin 2019 (en DVD : TF1 Studio, 2019, 14 euros).

(3Sortis en France respectivement le 3 février 2016 (en DVD : Rezo Films, 2016, 10 euros) et le 18 septembre 2019.

(4Sorti en France le 25 mars 2015 (en DVD : France Télévisions Distribution, 2015, 8 euros).

(5Sorti en France le 7 mai 2014 (en DVD : UGC, 2019, 10 euros).

(6Sorti en Chine le 13 avril 2018.

(7Sorti en France le 28 janvier 2015 (en DVD : Zeugma Films, 2016, 25 euros).

(8Sorti en France le 21 juin 2017 et en Chine le 16 mars 2018 (en DVD : Studiocanal, 2017, 13 euros).

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