On le sait, c’est une vérité vraie incontestable incontournable, l’artetlaculture, c’est grand, c’est essentiel, c’est du lien en acte. Ça se voit, d’ailleurs : le flot de programmes cultivés et cultivants qui déferlent sur Internet, la créativité déchaînée par le confinement, c’est une sacrée preuve. Que le Syndicat de la librairie française ait refusé l’autorisation qui lui était enfin donnée d’ouvrir ses boutiques, et ait décliné de saluer la prise en considération, tardive mais réelle, du livre comme service essentiel, amoindrit un peu l’enthousiasme. Que les chanteurs célèbres éprouvent le besoin de montrer qu’ils pensent à nous en chantonnant dans le salon est sans doute sympathiquement « solidaire », mais assez loin de l’idée qu’on peut se faire d’un travail artistique. Que le Festival du Réel, consacré au cinéma documentaire, contraint d’annuler, mette les films en ligne sur plusieurs plateformes sans à un seul moment rappeler que l’écran de cinéma n’est en rien identique à l’écran d’ordinateur, c’est une décision compréhensible, mais qui aurait pu s’étoffer d’une déclaration d’amour au cinéma même. Du coup, on a comme un doute. C’est vraiment si important que ça, l’artetlaculture ?
Lire aussi André Grimaldi & Frédéric Pierru, « L’hôpital, le jour d’après », Le Monde diplomatique, avril 2020.
Puisqu’on n’entend parler, de façon hypnotique, que du « jour d’après », ce qui fera rire tous les amateurs de « post-ap », on se demande si l’artetlaculture sont bien au programme du J+1 des partis politiques, même confinés. La France insoumise se soucie activement du concret. C’est indispensable. Artistes du spectacle vivant, plasticiens… Il s’agit de leurs conditions d’existence maintenant. Entendu. Et la suite ? Pourquoi ne pas penser grand ? Salariat des artistes, commandes publiques, invention de lieux de répétition, attaque des Live Nation et autres, redéfinition des cahiers des charges des lieux subventionnés, travail des partis mêmes pour former à la réflexion critique leurs cadres sur les enjeux esthétiques ? Par exemple, et entre autres. Quand le Parti communiste, dans une lettre de son collectif culture adressée « aux actrices et aux acteurs du monde de la culture — à tous ceux et celles qui l’aiment », estime que « nous avons besoin, plus que jamais, que s’ouvrent les champs de l’imaginaire », c’est engageant, mais vague… Oublie-t-on que l’édition est hyper-concentrée, que l’idéologie libérale joue à fond le « libéralisme culturel » et crée des niches pour chaque « segment » d’acheteur, oublie-t-on que la critique n’a quasiment plus de place dans les médias, oublie-t-on que l’imaginaire dominant, y compris subversif, continuera à dominer, sauf si on en analyse les valeurs à l’œuvre ? « Il ne pourra pas y avoir de relance pour sortir de la crise sans dimension culturelle » : qu’est-ce à dire ? Veut-on « sortir de la crise », ou changer la donne ? Qu’est-ce que la « dimension culturelle » ? Ah, pensons à l’effervescence artistique qu’ont suscitée la révolution mexicaine, la révolution russe, et même le New Deal, ou les suites du Front populaire…