Le journaliste et écrivain kenyan Kenneth Binyavanga Wainaina (1971-2019) avait des coiffures étonnantes, et un humour décapant.
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Daniela Rojas Castro, « Droits des minorités sexuelles, un combat devenu mondial », Le Monde diplomatique, novembre 2012.
Sa nouvelle Discovering Home (1), périple autobiographique d’un jeune homme établi en Afrique du Sud et retournant dans son Kenya natal, est distinguée par le prix Caine (2) en 2002. Au moment où Daniel Arap Moi quitte le pouvoir après 24 ans de présidence autocratique, il fonde Kwani ?, une revue littéraire qui diffuse les germes d’un renouvellement artistique en Afrique de l’Est (3). En 2003, Wainaina est récompensé par ses pairs du Kenya Publishers Association pour « services rendus à la littérature kenyane » : doté d’une imagination effervescente, il s’est saisi de l’anglais pour se l’approprier.
Réponse à plus d’un siècle de condescendance à propos du continent, sa satire Comment écrire sur l’Afrique, publiée dans le magazine littéraire britannique Granta en 2005 (4), lui assure une audience internationale. Salué comme le porte-flambeau du renouveau littéraire en Afrique anglophone, Wainaina est nominé en 2007 par le Forum économique mondial parmi les « jeunes leaders mondiaux » pour « son potentiel à (…) façonner l’avenir du monde ». Une distinction qu’il décline.
Ses souvenirs de jeunesse sont publiés en 2011 sous le titre One Day I Will Write About This Place (5). Dans ce récit parfois onirique, this place, le « lieu », est à multiples facettes : c’est le Kenya de son enfance, mais aussi l’Ouganda, patrie de sa mère, et enfin l’Afrique du Sud, témoin du passage à l’âge adulte. En 2014, il publie un « chapitre perdu » de ce récit, sous l’intitulé « I am a Homosexual, Mum » (6). Au Kenya où 90 % des personnes enquêtées rejettent l’homosexualité (7), la peine encourue pour relations homosexuelles va de cinq à quatorze années de prison. C’est en réaction à une vague de lois anti-gays qu’il fait paraître son récit, mais de façon plus large, son œuvre fustige l’opprobre qui conduit les gays africains à dissimuler leur identité sexuelle jusque dans la maladie, et invite ses contemporains à découvrir le visage de cette altérité, qu’ils auraient refoulée selon lui sous le joug culturel imposé par la colonisation. Lui revendique son homosexualité en tweetant : « Pour toute personne qui en douterait, je suis homosexuel. Gay et tout à fait heureux ».
Lors de la Journée mondiale contre le sida en décembre 2016, Wainaina persiste en annonçant sur son compte Twitter qu’il est « séropositif et heureux ». En 2018, il formule le vœu d’épouser l’année suivante son compagnon de longue date alors que la National Gay and Lesbian Human Rights Commission entame une action en justice pour l’abrogation des articles 162 et 165 du code pénal kenyan qui criminalisent les relations homosexuelles.
Wainaina meurt le 21 mai 2019 à l’hôpital Aga Khan de Nairobi quelques jours avant que la Cour suprême ne juge ces articles conformes à la Constitution kenyane de 2010. Plutôt que de désespérer d’une juridiction qui continue à siéger en perruque, écoutons encore un peu Wainaina vivre à haute voix : « Enfant, je rêvais autrefois d’être une tornade, un tourbillon, quelque chose de fort et de mobile, ou, pour mieux dire, quelque chose de fortement mobile. J’avais une affinité avec le chaos. C’est pourquoi j’en suis venu à faire confiance au langage ».