Ah, les week-ends ! 😊 Penser à autre chose qu’à corriger le « Diplo »... Traînasser le matin. Un café, deux cafés ; allez, trois cafés... La neige nappant le jardin. Un chat en maraude. Traces de pattes.
L’heure d’un petit tour sur Internet, quand même ? Quoi de neuf ? Tweet, tweet, tweet, gazouillis... Tiens, le Québécois Benoît Melançon. Un bon. Qui recommande chaudement d’écouter « Les changements orthographiques démystifiés ! ». Sujet fort intéressant. Allez, ça n’engage à rien. Clic.
Et c’est ainsi qu’on y passe deux jours, et qu’on finit par écrire un billet de blog.
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— Pour décider si je continue à te lire ou non, je veux savoir si tu vas dire du bien ou du mal du site qu’il conseille...
— Du bien.
— Tu es donc partisan de la « nouvelle orthographe » ?
— Non.
— Tu vas me mener en bateau, alors ?
— ... « De grands navires en feu, surgissant de l’épaule d’Orion »...
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Orion, le chasseur.
Patte levée, truffe au vent, le correcteur digne de ce nom est toujours à l’affût. Quand il entend « Québec », il tend l’oreille. Car là-bas ça travaille sur la langue. Ça propose. Ça fait mouche. Outre-Flotte, le mot « auteure » est commun depuis les années 1990. Des néologismes percutants, comme « clavardage » (pour chat) ou « divulgâcher » (pour spoiler), permettent de se démarquer du Grand Voisin. Ou encore, tiens, ce « balado » que Benoît Mélançon suggère d’écouter. Rien que de lire « balado » me donne envie de m’y balader, alors que podcast sonne creux et faux sous la lime (tout le monde n’a pas la libido américaine, sorry).
Ce site, c’est de la belle ouvrage, destinée aux collégiens. L’argument de ses dix courts épisodes se résume ainsi : toujours, l’orthographe française a connu des évolutions ; puisque certaines d’entre elles s’avèrent arbitraires ou erronées, des rectifications permettraient de renforcer le pouvoir de la règle en éliminant les exceptions ; pour cela, les propositions du Conseil supérieur de la langue française faites en 1990 demeurent d’actualité.
Les fameuses rectifications de 1990 ! Tant de conflits ! Loin de ces querelles un peu ridicules, le personnage mis en scène dans le balado, lui, est placide. Il découvre les principales recommandations : disparition de l’accent circonflexe sur û et î (paraitre...) ; soudure plutôt que trait d’union (extraterrestre, tictac...) ; simplification de doubles consonnes (corole, j’amoncèle...) ; francisation de graphies (iglou, téquilas...) ; correction d’anomalies (bonhomme/bonhomie, voir/asseoir...). Emballé par la plupart des modifications de cette « nouvelle orthographe », plus simple que la « traditionnelle », il s’interroge néanmoins : certaines lui semblent plus naturelles que d’autres. Pour quelle raison ? Question à prolonger : alors qu’elles datent déjà de trois décennies, qu’elles ont été validées par de nombreuses instances linguistiques, par l’éducation nationale, par les dictionnaires, pourquoi ces nouvelles règles ne sont-elles que très peu entrées dans l’usage ?
Alors qu’elles datent déjà de trois décennies, qu’elles ont été validées par l’éducation nationale, par les dictionnaires, pourquoi ces nouvelles règles ne sont-elles que très peu entrées dans l’usage ?
Affaire de mémoire ? Les spécialistes estiment à cinq mille le nombre de mots touchés par ces rectifications. Serait-ce trop d’effort cognitif à fournir pour les adultes qui ont appris l’« orthographe traditionnelle » ? Mais les réformes en question reposent sur la logique, ce qui soulage le cerveau. Elles seraient rapidement assimilables.
Il se trouve surtout, comme l’explique la linguiste Annie Desnoyers, de l’université de Montréal, que « le critère d’évolution qui a façonné l’écriture du français au fil des années est un compromis continuel entre la vision des étymologistes, qui désirent sauvegarder les lettres historiques, et celle des phonologistes, qui souhaitent que les sons de la langue en déterminent l’écriture ». Compromis... bien peu favorable à une représentation phonétique de la langue (« au son », disent joliment les Québécois), en partie en raison de décisions prises dès le XVIIe siècle par l’Académie française, en partie à cause du système phonologique du français, trop riche pour l’alphabet latin de base. Songeons, exemple rebattu, au mot « oiseau » [wazo]... De sorte que même rationaliser notre orthographe la laisserait bancale. Ce serait comme poser un emplâtre sur une jambe de bois, en somme.
Faut-il pour autant s’interdire un progrès, même minime ? Comment pratiquons-nous, au « Diplo » ? Des soudures, des pluriels francisés. Guère davantage. Aller vers « gageüre », « relai » ou « un-million-cent » pourrait constituer une entreprise audacieuse et stimulante. Il faudrait étudier, changer des habitudes, convaincre la rédaction... Rêvassons... Ah, les week-ends weekends !
Compléments
• Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD), « Les changements orthographiques démystifiés ! », 2021.
• « La nouvelle orthographe ».
• Annie Desnoyers, « Le système d’écriture du français : son évolution, son état actuel et futur », 2015.
• « De grands navires en feu, surgissant de l’épaule d’Orion » :