Non sans une certaine fierté, l’agence officielle chinoise Xinhua a annoncé que les présidents américain George W. Bush et chinois Hu Jintao s’étaient téléphoné mardi 21 octobre « à propos de la coopération internationale face à la tourmente financière ». Le contenu du communiqué est d’une platitude absolue, les deux parties assurant qu’elles veulent collaborer pour sauver la planète financière. Mais c’est la deuxième fois en un mois que les deux chefs d’Etat se parlent par téléphone et tiennent à le faire savoir. A la veille du sommet Asie-Europe (Asia-Europe Meeting, ASEM) qui réunira à Pékin, les 24 et 25 octobre, quarante-trois chefs d’Etat et de gouvernement (1), la Chine n’est pas mécontente de montrer à ses partenaires asiatiques (Inde et Japon) et européens (Allemagne et France, notamment) qu’elle est indispensable aux affaires du monde. Il faut dire qu’elle est devenue l’un des tout premiers banquiers de l’Amérique ; et, comme tout débiteur en mauvaise posture, Washington se montre attentionné… mais inquiet.
Sur le thème, « rien ne va plus, continuons », le secrétaire américain au Trésor Henry Paulson a appelé le pouvoir chinois à accélérer les déréglementations, évidemment parées du mot magique de « réformes ». Conscient d’une (nette) perte de crédibilité du modèle américain, il a quand même commencé par parler « des erreurs des Etats-Unis », avant de mettre en garde : « Certains, en Chine, regardent nos échecs sur les marchés financiers et en concluent qu’il faudrait freiner leurs réformes. C’est pourtant une belle occasion pour la Chine d’apprendre de nos erreurs importantes et de progresser dans des réformes capables d’apporter des bénéfices importants à la Chine et ses habitants. » (Agence France-Presse, 22 octobre) Et le secrétaire d’Etat de tracer la feuille de route pour le compte de Pékin… Parmi les quatre directions, selon lui, indispensables, on trouve évidemment le nécessaire progrès vers « une économie tirée par le marché ». Toute leçon se terminant par la distribution de bons points, M. Paulson a félicité les autorités chinoises d’avoir laissé « s’apprécier le yuan de plus de 20 % depuis juillet 2005 ». Mais, au cours de ces dernières semaines, Pékin, qui craint un effondrement de ses exportations, a plutôt tendance à laisser filer sa monnaie à la baisse… D’autant que le ralentissement de son économie crée quelques inquiétudes. Sans parler du décrochage de certaines de ses banques publiques : le gouvernement a injecté quelque 19 milliards de dollars dans Agricultural Bank of China (qui totalise plus de 120 milliards de dollars de créances douteuses). Pour l’heure, les réserves lui permettent de financer. Toutefois, la prudence semble plus que jamais de mise.
Les dirigeants européens ne sont pas en reste dans la flatterie vis-à-vis de la Chine et le catalogue des recommandations. « J’espère, a déclaré le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, que la Chine pourra apporter une importante contribution à la solution de la crise financière. C’est une grande occasion pour la Chine de montrer son sens des responsabilités. » Et, en matière de « sens des responsabilités », M. Barroso s’y connaît, lui qui a poussé à la privatisation tous azimuts et à la déréglementation à l’origine de la crise (lire « Le sacre chinois » sur le nouveau site Bric and Co – le journal des pays émergents).
Au-delà même de leur impudence, ces déclarations mi-inquiètes, mi-menaçantes soulignent le basculement du monde vers l’Asie : Le Monde diplomatique daté de novembre, en vente à partir du 29 octobre, consacre un dossier de huit pages à ces changements géopolitiques.
Wal-Mart se découvre socialement responsable
Le jour même où M. Paulson donnait des leçons de bonne conduite financière à Pékin, le géant américain de la distribution Wal-Mart faisait savoir qu’il avait posé un ultimatum à ses 20 000 fournisseurs chinois : ces derniers devront désormais respecter « de nouvelles normes sociales et environnementales » ou seront remplacés. Confronté à une baisse des ventes pour cause de chute du pouvoir d’achat mais aussi de mauvaise qualité de produits chinois (les jouets, particulièrement), le magnat de la distribution essaie de redorer son blason sur le dos de Pékin. Nul ne saurait se plaindre de voir des principes sociaux et écologiques respectés dans les usines chinoises. Mais, puisque Wal-Mart se découvre des vertus éthiques, il devrait payer d’exemple. Et, si l’on en croit Barbara Ehrenreich, qui s’y est fait embaucher pour décrire l’enfer de l’intérieur, la tâche est immense (lire « Des dirigeants à notre service », Le Monde diplomatique, janvier 2006).