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Un retour en Afrique sur la pointe des pieds

C’est de la coopération militaire à bas bruit, en mode contraint : petit pas, petit calibre, petit feu. Mais la France, sollicitée le dimanche 7 décembre par le gouvernement du Bénin, sur la côte ouest africaine, aux prises avec une tentative de putsch, a admis avoir accordé au régime de Cotonou un appui présenté comme ponctuel et « strictement technique ». Voire un peu plus. Le signe d’un retour vers l’Afrique par la petite porte, après en avoir été chassée ces dernières années ?

par Philippe Leymarie, 16 décembre 2025
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Ìgùn Ẹ́rọ̀nwwọ̀n (guilde des fondeurs de bronze). — Coq, Royaume du Bénin, XVIIIe siècle.

En fait, ce putsch d’un éphémère « Comité militaire pour la refondation », intenté par une fraction réduite de l’armée béninoise, s’est limité à la prise de la télévision à Cotonou, et à l’attaque de quelques résidences de hauts gradés dans la capitale, dont celle du président Patrice Talon, puis à un repli sur la base militaire de Togbin, proche de la capitale — là où ont lieu des combats plus lourds. Les forces loyalistes ont rétabli la situation en moins de quarante-huit heures.

Elles ont été épaulées par l’aviation de leur imposant voisin et allié le Nigeria, qui a frappé des positions de repli des insurgés, sur renseignements fournis par un avion d’observation français. Mais des éléments de forces spéciales françaises, venus d’Abidjan, ont participé également au « ratissage » final, en fin de journée, a raconté le commandant de la garde républicaine du Bénin, le colonel Tévoédjrè (RFI, 9 décembre 2025) — ce que Paris a refusé de confirmer ou démentir : « On ne communique jamais sur les forces spéciales » (Point presse du ministère français des armées, 11 décembre 2025).

De son côté, le Sénat nigérian a approuvé le 9 novembre à titre rétroactif l’intervention de ses militaires au Bénin, lequel a sollicité « un soutien aérien exceptionnel et immédiat » des forces armées nigérianes, suite à « une tentative de prise de pouvoir anti-constitutionnelle et à la perturbation des institutions démocratiques », « évitant ainsi aux Nigérians de subir l’afflux de milliers de réfugiés » tout en « protégeant la frontière contre la criminalité ».

Armées-partenaires

L’Élysée affirme avoir agi en coordination avec ce pays leader de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), et n’avoir apporté — « à la demande » bien sûr de Cotonou - qu’« un appui de surveillance, d’observation et de soutien logistique », Paris espérant échapper aux habituels soupçons d’ingérence. Mais l’envoi d’éléments des forces spéciales, même limités, venus d’Abidjan et ayant participé au « ratissage », illustre un engagement français plus avancé que Paris n’a voulu le reconnaître. Une intervention « légère mais symbolique », souligne l’envoyé spécial du quotidien Le Monde à Cotonou (15 décembre 2025), pour qui il s’agit d’un « tournant dans la politique africaine de Paris ».

On sait que la France a dû fermer depuis 2022 ses bases militaires dans cinq pays d’Afrique de l’ouest et du Sahel : Mali, Burkina, Niger, puis Tchad et Sénégal. Au point que Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux, pouvait déclarer en juillet dernier en réponse à une question sur le risque d’insécurité lié à l’absence militaire française : « Je suis désolé de le dire, mais cela ne nous concerne plus » (Reuters, 25 juillet 2025). Les emprises résiduelles en Côte d’Ivoire et au Gabon, déjà allégées, sont en cours de réforme. La coopération sur la sécurité est désormais axée sur des demandes ponctuelles des « armées-partenaires », en matière de formation ou d’équipement, mais sans présence permanente.

La chasse aux ingérences

Le Bénin est l’un des derniers alliés proches de la France, dans ces parages ouest africains. Voisin du Sahel, il est — comme le Togo ou le Nigeria — la cible d’incursions djihadistes venues du nord. L’armée béninoise a perdu cette année plus d’une centaine de ses hommes dans ces attaques, sans doute dues au manque de coopération aux frontières avec le Burkina et le Niger. Les juntes militaires actuellement au pouvoir dans ces pays accusent couramment le Bénin de chercher à les déstabiliser, et d’héberger des bases militaires étrangères, ce que Cotonou a toujours démenti, au moins s’agissant de bases « opérationnelles » — à distinguer des formations, entraînements, exercices, qui sont de l’ordre de la simple coopération.

Dans un discours le 8 novembre dernier dans un camp militaire de Dosso, le président nigérien, le général Abdourahamane Tiani, coutumier d’accusations contre des « ingérences » hexagonales, avait accusé la marine nationale française d’avoir débarqué au port de Cotonou « des milliers de soldats », pour déstabiliser les États du Sahel, notamment le Niger. Le lendemain, à Gaya, il appelait à maintenir la fermeture de sa frontière avec le Bénin, soupçonné d’accueillir des soldats français et belges, et de « financer et soutenir le terrorisme pour déstabiliser les pays de l’AES (1) ».

Plus de trente ans

De fait, un porte-hélicoptères français, le Tonnerre, avait fait escale début novembre à Cotonou, comme ce navire de l’opération Corymbe a l’habitude de le faire au moins une fois par an. Le bâtiment est servi par un équipage de moins de 200 marins, avec une capacité d’hébergement maximale de 400 à 900 passagers, qui est rarement utilisée. Ces escales sont prévues à l’avance, et concernent la totalité de la vingtaine d’États riverains du Golfe de Guinée, depuis la Namibie jusqu’à la Mauritanie.

L’opération Corymbe, qui est en place depuis les années 1990, consiste en la présence quasi permanente dans ce vaste espace maritime d’un bâtiment de la marine nationale française, affecté à la formation de garde-côtes locaux, et de marins spécialisés dans la lutte contre le narcotrafic, le terrorisme ou la piraterie, au profit des pays riverains qui en font la demande. Dans les périodes où le navire de service est à forte capacité, comme c’est le cas d’un porte-hélicoptères, il peut être amené — en cas de danger — à évacuer des ressortissants français ou étrangers. Ne disposant plus d’emprises côtières, la marine française aura certainement tendance à se reposer sur ce genre de missions en haute mer.

Nouveau domino

L’ancien Dahomey, longtemps qualifié de « quartier latin » de l’Afrique de l’ouest, avait déjà connu de fortes turbulences dans les années 1970, avec l’instauration d’un régime militaire, puis « marxiste », qu’une équipée ratée du mercenaire français Bob Denard — agissant en lien avec l’axe franco-maroco-gabonais de l’époque, sous l’égide de Jacques Foccart — avait échoué à faire tomber en 1977.

Le Bénin avait été par la suite un laboratoire de la démocratisation, lançant dans les années 1990 la mode des « conférences nationales » (2).

Il était considéré comme l’un des plus stables du continent, le coup d’État y étant majoritairement vu comme la pire des solutions pour faire aboutir des revendications. L’actuel président, l’homme d’affaires Patrice Talon, après avoir effectué deux mandats, ne peut se représenter à l’élection prévue en avril prochain, et a accepté de laisser la place, ne demandant pas à modifier la constitution dans son pays.

Les « néopanafricanistes et autres idéologues proches des juntes au Sahel avaient jubilé un peu vite » lors de la tentative de prise de pouvoir à Cotonou, explique La Croix du 9 décembre 2025. Ils avaient pu croire pendant quelques heures qu’un nouveau domino tombait dans la région, et n’ont pas manqué de mettre ensuite ce malencontreux échec au compte de l’appui français et nigérian.

En préparation d’un sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO réunis pour faire le point sur la situation en Guinée Bissau et au Bénin, le chef de la diplomatie nigériane, Yusuf Maitama Tuggar, a rappelé l’opposition totale de son gouvernement aux régimes militaires : « Les personnes comme moi ont grandi sous un régime militaire. Malheureusement, beaucoup de gens dans notre communauté ouest africaine idéalisent encore les juntes et pensent que c’est quelque chose de prestigieux » (RFI, 12 décembre 2025).

Larges pans

Le putsch de Cotonou, même raté, est un signe supplémentaire de l’affaiblissement de la démocratie dans les pays de la région, confrontés à des urgences sécuritaires, économiques, ou climatiques. Bien qu’épaulés depuis le départ des soldats français par des forces russes, les trois régimes militaires au cœur du Sahel ne sont pas venus à bout des foyers djihadistes.

Ainsi, les autorités maliennes ont subi, comme jamais depuis 2012, une pression notamment des combattants du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, le JNIM, affilié à Al-Qaida : « Bamako peut-elle tomber ? », s’est interrogé Jeune Afrique (décembre 2025), après des tentatives d’asphyxie de la capitale ces derniers mois, la privant de ravitaillement en carburant. Ce mouvement ne paraît pas capable de prendre Bamako ; mais, parti du nord, il a essaimé jusqu’au centre et vers le sud, exerçant un contrôle de fait sur de larges pans du territoire malien, où il est de plus en plus enraciné.

Au Mali comme au Burkina et au Niger, le milieu de cette année 2025 a connu une flambée d’attaques djihadistes, faisant de cette période l’une des plus meurtrières de l’histoire du Sahel. Selon le Global Terror Index, publié par l’Institute for Economics and Peace, un think tank spécialisé dans les bilans de la violence, sur les 7 555 décès liés au terrorisme dans le monde en 2024, plus de la moitié (3 885) ont été enregistrés au Sahel. Une violence qui déborde sur les pays voisins… comme le Bénin.

Philippe Leymarie

(1L’Alliance des États du Sahel (AES), fondée en septembre 2023, réunit les trois régimes militaires du Sahel - Burkina Faso, Niger, Mali - qui ont conclu un pacte de défense mutuelle. Elle n’a pas débouché sur la création effective d’une force militaire commune.

(2Huit régimes autoritaires en Afrique ont recouru à ces « conférences » donnant la parole à l’ensemble des « forces vives » de ces pays, pour une transition pacifique vers plus de démocratie.

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