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Danse

Une utopie en vie

par Marina Da Silva, 28 avril 2023
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« Animal — Danser avec le vivant »
Anaïs Baseilhac

Camille et Manolo — ils donnent juste leurs prénoms, pour décliner leurs noms d’artistes, comme s’ils voulaient rester sur l’affiche à la même place que leurs chevaux. Une passion depuis l’enfance, et un rêve devenu réalité : le Théâtre du Centaure, inspiré de ce personnage mythologique où l’humain et l’animal ne font qu’un seul être et un seul corps. Ce fut d’abord une compagnie, fondée en 1989, c’est aujourd’hui un lieu de création, à Marseille, aux portes du parc national des Calanques, un des plus beaux espaces protégés ouvert sur la Méditerranée, au pied des quartiers de la Cayolle et des Baumettes. Pour pérenniser leur fabrique d’utopie, les deux artistes, acteurs, danseurs et poètes, n’ont pas compté les nuits et les jours qui s’enchaînent, les heures à répéter, en toutes saisons et circonstances. Ils ont installé leur lieu de vie et de travail sur un terrain mis à leur disposition en 2016 par la ville. Tout y était à faire naître mais ils l’ont aimé de suite, parce qu’ils étaient au cœur d’une ville-monde, dans un arrondissement populaire des plus importants, le IXe, où avant leur implantation, il n’y avait aucune infrastructure culturelle, aucun lieu pour apprendre et faire ensemble.

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Le lieu de création à Marseille
Emmanuel Dautant

Sur 8 000 m2 de sol bétonné, ils ont fait surgir de nouveaux paysages, des édifices imaginés et dessinés par Camille et réalisés par des charpentiers indonésiens, venus spécialement en France pour le projet. Ils ont utilisé des bois précieux et recyclés, et tout a été monté à la main. Le chapiteau en est la pièce maîtresse, quant aux boxes pour la dizaine de chevaux qu’ils élèvent, aux espaces pour le public, les caravanes, tout en a été pensé pour inviter et accueillir l’autre, humain ou animal. Un jardin extraordinaire avec des centaines d’espèces d’arbres et de plantes, cultivé selon les principes de la permaculture, achève le dépaysement qui s’épanouit, à la fin de l’hiver, avec la floraison des amandiers. Pour faire vivre ce lieu, ils sont parvenus à créer des emplois, et se trouvent aujourd’hui à la tête d’une équipe de sept personnes.

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« Animal — Danser avec le vivant »
Anaïs Baseilhac

« Le Centaure, c’est une quête d’impossible mais que l’on veut inscrire dans l’ici et maintenant, dans le même monde que tout le monde », déclare Manolo. Le même monde que tout le monde, c’est celui des cités où ils vont à la rencontre des habitants, d’adolescents et d’enfants qui souvent n‘avaient jamais approché un cheval. Ils mettent aussi en place pour les écoles du quartier un bibliobus où ils peuvent fabriquer et partager des livres-objets. Et puis, il y a cette manière qu’ils ont de surgir à l’improviste, debout sur leurs montures, à un carrefour, dans un hypermarché, une gare, et de dire des aphorismes. Une expérience qu’ils ont aussi menée à la prison des Baumettes, à l’extérieur d’abord, puis en y pénétrant, et enfin en permettant à des détenus de venir au Théâtre du Centaure.

Questionner leur travail, se demander à quoi çà sert et pour qui ils le font, fait partie intégrante de leur rôle d’artistes. Un de leurs projets les plus fous a été Transhumance, réalisé en juin 2013, après plusieurs années de préparation, pour Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la Culture. Plus de 600 kilomètres parcourus par des humains et des animaux pour relier deux continents et 35 communes, en militant pour la place de l’utopie dans la cité. À l’étape finale, Camille, debout sur ses trois frisons, était suivie par 6 000 animaux et 400 000 personnes.

Aujourd’hui, ils travaillent à la fois ensemble et séparément. La dernière création sous chapiteau est celle de Manolo, Animal — Danser avec le vivant, mise en scène par la chorégraphe Kaori Ito. Manolo y présente la relation fascinante qu’il a avec ses quatre chevaux noirs — Indra, Arjuna, Nakula, Shahadeva —, en quatre tableaux poétiques, joyeux et extravagants. Plutôt que de fabriquer un spectacle, la chorégraphe a cherché à restituer ce qui danse, en et hors du cavalier, et vient fusionner avec le pas, le galop ou l’immobilité de ses magnifiques montures. Au sol, debout, en équilibre, dans une caresse, une vibration, il transmet l’élaboration d’un langage entre l’homme et l’animal.

Il est accompagné des artistes équestres Johanna Houe et Camille Kaczmarek, et de la danseuse Léonore Zurflüh, eux aussi explorant leur part d’animalité et de liberté, tandis que les musiciens Virgile Abela (guitare électrique) et Anwar Khan (tabla, chant, harmonium) proposent leur propre partition. Cette petite troupe recompose un espace de dialogue entre les corps des uns et des autres, entre la danse et musique, la transe et la fête. L’ensemble est d’une beauté rare.

Le Centaure

2, rue Marguerite de Provence, 13009 Marseille
Tél. : 04 91 25 38 10
Site Internet.

« Animal — Danser avec le vivant »

Le 5 mai au Quai 9, Lanester.

Les 7 et 8 mai au Haras d’Hennebont et les 13 et 14 mai, sur la Baie du mont Saint Michel (en extérieur).

Du 18 au 23 juillet 2023 à Equestria, Tarbes.

Les 31 août, 1 et 2 septembre à Culture Nova Heerlen, Pays Bas.

Marina Da Silva

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