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Vers l’Afrique, un « soft power » qui tourne au « hard »

par Jean-Christophe Servant, 14 novembre 2019
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« Soutenir fermement la lutte anti-impérialiste des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine », poster de propagande chinoise d’après une peinture de Zhou Ruizhuang, 1967.

«Nous devons consolider nos instruments de diplomatie d’influence, qui font partie intégrante de notre politique étrangère », soulignait, le 28 août dernier, Jean-Yves Le Drian, ministre français de l’Europe et des affaires étrangères, lors de son discours de clôture de la conférence annuelle des ambassadeurs et des ambassadrices. « Face à une compétition généralisée qui est en train de reconfigurer notre monde et qui ne se résume plus à ses dimensions politiques, stratégiques et économiques, nous devons aussi prendre en compte ce que j’appelle les nouveaux attributs de la puissance (…) : la bataille de la culture, la bataille de l’information et la bataille du développement (…). Je souhaite en particulier que soit développée une stratégie de communication ambitieuse vis-à-vis de l’Afrique, à la fois pour mieux valoriser nos actions et, pour mieux lutter contre les fausses nouvelles. Face aux campagnes de dénigrement, ajoutait-il, face à ce contre-narratif français, nous ne pouvons pas nous permettre de rester les bras croisés ».

Jusqu’au surgissement de la Chine sur le continent africain, au tournant des années 2000, la France n’avait pas jugé utile d’y mener une bataille d’influence culturelle. Au début du XXIe siècle, sous le deuxième mandat de Jacques Chirac, l’action de l’ancienne puissance coloniale se reposait sur son pré carré francophone, insensible à la bouillonnante créativité des autres métropoles africaines, malgré son réseau de 111 alliances françaises dispersées à travers le continent et dans l’Océan Indien. Lesquelles se contentaient donc de faire du chiffre, en multipliant le nombre d’inscriptions d’étudiants. La France voyait son influence se réduire au profit de l’Allemagne, devenu le premier partenaire commercial européen de l’Afrique, et bien sûr de la Chine.

Lire aussi Louis Bertrand, « À Canton, menace sur la “petite Afrique” », Le Monde diplomatique, novembre 2019.

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, Paris entend réécrire ses relations culturelles avec le Sud, spécialement les pays anglophones (Nigeria, Kenya, Afrique du Sud), lusophone (Angola) et les nouveaux ateliers du continent (Éthiopie), dans le sillage de la diplomatie économique initiée à fin du mandat de Nicolas Sarkozy. C’est à Lagos, dans la capitale économique du Nigeria, qu’Emmanuel Macron a ainsi annoncé en juillet 2018 l’organisation de la Saison des cultures africaines qui se tiendra en France en 2020. Initiés par le Conseil présidentiel de l’Afrique, ces évenements visent, dixit le chef de l’État, à déployer « une stratégie culturelle et artistique qui remette l’Afrique » au centre. « Nous avons besoin que les Africains parlent eux-mêmes de l’Afrique ».

La saison Africa 2020 est chapeautée par l’Institut français, qui coordonne l’action culturelle de la France. Selon sa commissaire générale, Mme Ngoné Fall, architecte issue du Conseil présidentiel pour l’Afrique, « le nouveau visage de la relation entre la France et l’Afrique », il s’agit de mettre en avant « les protagonistes innovants qui font bouger les sociétés » et de « comprendre le monde d’un point de vue africain » en passant « en revue tous les secteurs d’activité, que ce soit la création artistique, mais aussi la recherche scientifique, les innovations technologiques, l’état de nos économies sur le continent, les entrepreneurs, les incubateurs, les start-ups, le développement durable, l’architecture, la mode, le design… » L’ambition est de « travailler avec les imaginaires, les représentations et de changer l’image de la France en Afrique ».

La promesse de restituer, d’ici 2022, temporairement ou définitivement, le patrimoine culturel africain exposé dans les musées français, participe de cette stratégie. La puissante et rafraichissante leçon inaugurale de l’archéologue et François Xavier Fauvelle au Collège de France, après son élection à la tête de la première chaire pérenne entièrement dédiée au continent, en est une autre. La France s’enorgueillit de compter 46 % d’étudiants venus du continent africain, dont un quart d’Afrique du Nord, parmi ses 343 000 inscrits étrangers pour l’année universitaire 2019-2020. Mais le pays a vu en cette rentrée une baisse des demandes de l’ordre de 30 % à 50 %, suite à la hausse, contestée, et rétoquée par le Conseil Constitutionnel, des frais d’inscriptions universitaires (le Conseil d’État doit trancher cette question en dernière instance). Pendant ce temps, Paris voit aussi resurgir sur le continent le Royaume-Uni, lancé dans une campagne de séduction post-Brexit et « Global Uk » avec les locomotives du continent, mais également la Fédération de Russie.

Organisé du 23 au 24 octobre à Sotchi en présence d’une quarantaine de délégations de chefs d’État, le premier sommet Russie-Afrique marque en effet officiellement le retour du Kremlin et de ses entreprises dans une région délaissée depuis la fin de l’Union soviétique. L’inflexion de Moscou — d’abord stratégique, puis économique — remonte à la fin des années 2000, tout à la fois marquée par la première tournée continentale du président Vladimir Poutine (en Afrique du Sud et au Maroc), puis celle de son successeur à la tête de la fédération de Russie, Dmitri Medvedev (Angola, Namibie, Nigeria), entouré d’une délégation de 400 hommes d’affaires. Ces deux déplacements ont « donné le signal de l’établissement de nouvelles relations bilatérales », rappelait en 2013 la chercheuse Alexandra Arkhangelskaya. « À une époque, expliquait de son côté Vladimir Poutine en 2009, nous avons pu donner l’impression d’avoir perdu tout intérêt pour le continent africain, il est de notre devoir de rattraper le temps perdu. Nous avons quantité de projets et d’idées intéressants et de qualité pour développer notre coopération. La Russie [constate] sans jalousie que d’autres pays ont noué des liens en Afrique, mais elle entend bien défendre [ses] intérêts sur le continent ».

Mais la Fédération de Russie reste un ourson sur le continent avec à peine 20 milliards de dollars d’échanges commerciaux avec l’Afrique en 2019, dont trois quart avec l’Afrique du Nord, contre 275 milliards pour l’UE, 200 milliards pour la Chine, et 70 milliards pour l’Inde

Moscou, dont l’approche est influencée par le modèle diplomatico-économique appliqué par la Chine pour pénétrer le marché africain, a multiplié par 15 ses échanges commerciaux avec ce dernier depuis l’an 2000. La Fédération est en particulier le premier importateur d’armes en Afrique, avec l’Algérie comme principal client. La Russie est aussi en concurrence avec la Chine dans le domaine des contrats de nucléaire civil : mi-septembre, l’agence nucléaire russe Rosatom annonçait la signature d’un accord entre avec Kampala visant à développer ce secteur en Ouganda. Des entreprises publiques telles que le producteur de diamants bruts Alrosa ou le géant gazier Gazprom sont désormais présentes dans une dizaine de pays africains comme l’Angola, le Ghana, l’Égypte, le Nigeria ou encore le Soudan. Mais la Fédération de Russie reste un ourson sur le continent : à peine 20 milliards de dollars d’échanges commerciaux avec l’Afrique en 2019, dont trois quart avec l’Afrique du Nord, contre 275 milliards pour l’Union européenne, 200 milliards pour la Chine et 70 milliards pour l’Inde.

Pour promouvoir auprès des Africains le récit d’une « alternative russe », Moscou s’appuie donc en premier lieu sur un soft power « low cost », où sont parfois redéployées des cartes abandonnées depuis la fin de l’Union soviétique, comme ce dessin animé à destination des enfants centrafricains, parrainé par l’opérateur minier russe Lobaye Invest, proche du Kremlin. À Moscou, l’Institut des Études Africaines de l’Académie des sciences de Russie, qui se présente comme un laboratoire d’idées sur l’Afrique, est à la manœuvre. « Il constitue à la fois une possible ressource préalable à l’action politique, et un outil d’influence, explique le consultant privé Arnaud Kalika dans son analyse, pour l’IFRI, des dessous du « grand retour » de la Russie sur le continent (PDF). « Depuis 2014, poursuit Kalika, les thèmes de recherche dans le cadre de mémoires et thèses de doctorat sur l’Afrique y sont variés : les perspectives pour une extension des BRICS, les intérêts russes en Afrique, l’innovation en Afrique, gouvernance et stabilité en Afrique, la coopération entre l’Afrique du Sud et la Russie, le radicalisme islamiste en Afrique, les évolutions politiques et sécuritaires au Sahel, l’identité africaine au XXIe siècle, la lecture culturaliste et civilisationnelle de l’Afrique, la politique étrangère des États africains, l’histoire des conflits armés en Afrique, les conséquences de la mondialisation en Afrique… La bibliographie est particulièrement riche : une centaine d’ouvrages, essais, publiés en 2018 et davantage en 2017 ».

Lire aussi Richard Sakwa, « Le monde vu de Moscou », Le Monde diplomatique, octobre 2019.

Irina Abramova, directrice de l’Institut de l’Afrique, qui a beaucoup publié sur l’empreinte chinoise sur le continent, fait aussi campagne pour que le « nombre d’étudiants africains renoue non seulement avec le niveau du passé, mais qu’il le surpasse ». Acteur-phare de l’influence soviétique en Afrique, l’université Patrice Lumumba de Moscou a formé, entre 1961 et 1991, plus de 20 000 étudiants africains qui, pour certains, disposent encore d’une influence considérable dans leur pays, qu’il s’agisse de Hage Geingob, le président namibien, ou de João Lourenço, son homologue angolais. Le premier voyage officiel de ce dernier en Russie, en avril dernier, fût l’occasion de rappeler « qu’un grand nombre de personnes occupant des positions importantes dans le pays, non seulement dans l’administration publique ou dans l’armée, ont reçu leur éducation en Russie ». Plus généralement, ce sont près de 70 000 étudiants africains qui, sur la même période soviétique, ont bénéficié de l’enseignement dispensé en URSS. Depuis 2010, selon les statistiques de la Fédération de Russie, le nombre des étudiants africains est reparti à la hausse : de 6 700 à 15 000 inscrits dans une des 284 universités du pays. Le réseau des centres russes, Monde russe (Rousskiï Mir), pour l’heure au nombre de cinq sur le continent, est lui aussi appelé à s’étoffer. Moscou mène enfin campagne à travers ses médias, en premier lieu à travers les versions francophones de RT et Sputnik.

La France parait particulièrement préoccupée par l’influence de ces médias sur les esprits africains. Publié l’année dernière, un rapport du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, ministère de l’Europe et des affaires étrangères) et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM, ministère des armées), constate que « que l’Afrique pourrait être le prochain terrain de jeu de la “guerre informationnelle” russe » sur fond de propagation des contenus russes à travers le Web africain francophone. La partie africaine de l’étude, qui s’appuie en particulier sur les données recueillies par L’Observatoire de l’infosphère russophone dirigé par Kevin Limonier, note que ce « succès s’explique par plusieurs facteurs combinés. »

« D’abord, la grande popularité des discours anti-occidentaux propagés par les grands médias internationaux russes (RT et Sputnik) auprès des opinions publiques africaines qui considèrent souvent la Russie sous le prisme de son passé soviétique anticolonial. Dans certains pays comme la Côte d’Ivoire, ces discours alimentent les débats politiques locaux. Ainsi les mouvements pro-Gbagbo trouvent dans les contenus produits par les médias russes des matériaux informationnels et des narratifs tout à fait opportuns. Le choix éditorial fait par RT et Sputnik de fortement médiatiser certains dossiers intéressant directement les opinions publiques africaines, comme celui touchant à l’avenir du franc CFA, aggrave naturellement les choses (…). Un autre problème est la tendance de beaucoup de journaux et médias africains en ligne à reprendre in extenso les contenus des médias russes sur leurs sites aux côtés de dépêches des grandes agences occidentales telles que l’AFP ou Reuters. Cette tendance permet aux contenus russes de toucher une très large audience en étant vus par un grand nombre de personnes. Ainsi, au Sénégal, de nombreux articles de Sputnik concernant l’Afrique sont repris par seneweb.com, quatrième site le plus consulté au Sénégal et suivi par plus d’un million et demi de personnes sur Facebook. Par ailleurs, les stratégies de marketing digital employées par les agences russes sur les réseaux sociaux (buzz, clickbait) se prêtent particulièrement bien au contexte africain, où de nombreux utilisateurs ont recours à Facebook comme source d’information. Les théories du complot et autres nouvelles sensationnalistes dont sont friands les médias russes leur permettent d’augmenter considérablement leur audience dans un continent où ce genre de presse à sensation est très populaire. La fascination d’une partie de la jeunesse africaine pour la figure de Vladimir Poutine auquel de nombreuses “fanpages” sont consacrées sur Facebook, et l’imaginaire de puissance militaire qui lui est associé, jouent également, tout comme la position de la Russie dans le conflit syrien, qui vient alimenter de très nombreux débats sur les réseaux sociaux au Maghreb (et plus particulièrement en Algérie) ».

Avec la Russie, Paris souffle en fait le chaud et le froid… Le cas centrafricain « où des instructeurs russes multiplient des relations commerciales avec des seigneurs de guerre et polluent le processus de paix amorcé par l’ONU », est à cet égard emblématique du pas de deux que mènent les diplomaties russe et française sur le continent. Jusqu’à cet automne, le pays cristallisait « les récentes tensions entre Russes et Français sur le continent africain ». L’automne dernier, Florence Parly, ministre française de la défense, avait accusé Moscou, parrain d’une rencontre organisée à Khartoum destinée à faciliter le processus de réconciliation en Centrafrique, d’entraver une sortie de crise. Changement de ton le 9 septembre dernier lors de la conférence de presse commune des ministres français et russes des affaires étrangères et de la défense à Moscou, à l’occasion du premier 2+2 franco-russe mené en sept ans. La délégation française s’est notamment félicitée des efforts conjoints menés dans le cadre de l’ONU et de l’Union africaine afin de résoudre la crise sécuritaire en Centrafrique et cité l’Afrique comme « un bon laboratoire de ce que la France et la Russie peuvent faire ensemble ». Il est vrai que « le retour de la Russie en Afrique, poursuit Arnaud Kalika dans son étude pour l’IFRI, est beaucoup moins spectaculaire que ne le laisse penser sa couverture médiatique récente » et que son approche « se fonde moins sur un grand dessein stratégique de domination que sur une quête d’influence opportuniste et pragmatique, essentiellement dictée par des impératifs économiques ».

Liée à Evgueni Prigojine, un oligarque proche du président Poutine, et notamment soupçonné, avec sa « fabrique de trolls » d’avoir aidé l’équipe de Donald Trump durant l’élection présidentielle de 2016, la sulfureuse Fondation de la protection des valeurs nationales, se permet d’ailleurs d’ironiser sur les prétentions de Moscou à rivaliser avec la France en Afrique : « Depuis fin des années 2000 ce sont deux pays, la Chine et les États-Unis, qui ont joué un rôle clé dans les affaires africaines. Si la Russie avait vraiment envie de prendre sous contrôle la quasi-totalité du continent africain, elle n’aurait très probablement pas choisi la France en tant qu’adversaire principal ».

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À gauche, combattants de Rhodésie lisant un ouvrage de Mao Zedong, 1968 ; à droite, « L’amitié entre les peuples africain et chinois est profonde », 1972.

Car pendant ce temps, la Chine asseoit son influence en Afrique, au détriment des États-Unis, en perte d’influence depuis l’élection de Trump. En 2018, un sondage mené par l’institut américain Gallup estimait à 53 % le taux d’approbation global du leadership de la Chine en Afrique, contre 52 % pour les États-Unis. Dans huit pays, dont la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Niger, la Guinée ou l’Île Maurice, ce taux d’approbation globale dépassait les 60 %. Deuxième contributeur financier des Nations unies, participant à 15 % du budget de ses opérations de paix, Pékin vient de voir pour la première fois l’un de ses compatriotes, l’ambassadeur Huang Xia, nommé émissaire par l’ONU pour la région des Grands Lacs.

La stratégie de soft power chinoise a été officialisée en 2007 lors du XVIIe congrès du Parti communiste chinois. Elle a depuis permis à Pékin de mobiliser une large palette d’outils (académiques, culturels, médiatiques, économiques) afin de renforcer son pouvoir d’attraction auprès des africains, promouvoir son modèle de développement — le consensus de Pékin —, mais également influencer les normes du continent en matière de télécommunications, de données et d’informations (1).

Lire aussi Jean-Christophe Servant, « La Tanzanie mise sur la Chine », Le Monde diplomatique, février 2019.

Alors que la société Transsion de Shenzen s’est imposée comme le numéro un du mobile en Afrique, le fournisseur chinois privé de télévision numérique StarTimes recense déjà 12 millions d’abonnés et une audience de 26 millions téléspectateurs répartis dans 30 pays du continent. Avec son bouquet de 480 chaines, StarTimes, est aussi le maître d’œuvre du programme « Accès à la TV satellite pour 10 000 villages africains » qui a pour but d’équiper gratuitement 10 000 villages défavorisés en télévision numérique, dans le sillage des promesses faites par Pékin de faire passer l’Afrique à la TNT. Dans sa conquête de parts de marché au détriment des concurrents Multi Choice et Canal Plus, le groupe privé chinois peut aussi compter sur le relai des instituts Confucius, qui sont un des symboles les plus connus de l’affirmation de l’influence culturelle chinoise sur le continent.

En l’espace de 15 ans, 49 sont sortis des terres africaines, parfois au cœur même des principaux campus du continent, et moyennant, comme dans le cas de l’accord passé avec le rectorat de l’université de Dar es-Salaam, la construction par la Chine d’une nouvelle bibliothèque universitaire. Si on y apprend la langue, la culture, l’histoire, la philosophie, la médecine traditionnelle ou les arts martiaux chinois, il s’agit aussi de détecter « les influenceurs de demain », comme nous le confiait l’année dernière en Tanzanie l’un de ses responsables. Les instituts Confucius sont aussi un viatique recommandé pour obtenir une bourse étudiante en Chine, désormais première destination des étudiants africains anglophone devant les États-Unis et l’UE. Le nombre d’étudiants africains inscrits en Chine est passé de 1 600 en 2003 (sur 77 000 étudiants étrangers) à 81 562 en 2018 (sur 492 000 étudiants étrangers). Lors du dernier forum Chine-Afrique de 2018, le président Xi Jinping a promis d’octroyer d’ici 2021 50 000 nouvelles bourses africaines et soutenir 50 000 programmes de formations en Chine destinés aux fonctionnaires d’État, leaders d’opinion, journalistes, et experts techniques africains. L’intention est de renforcer « l’image de la Chine en Afrique mais aussi de contrer les critiques ».

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À gauche, « L’impérialisme américain hors de l’Afrique », d’après une peinture de Wu Min, 1966 ; à droite, poster anti-impérialiste non identifié.

Cette dernière décennie, prés de 1 000 journalistes africains sont venus chaque année participer à des programmes de formation menés en Chine. Pékin « investit également dans des médias africains existants, rappelle Aubrey Hruby, de l’Africa Center au sein de l’Atlantic Council, chargée de cours à l’Université de Georgetown. Au Kenya, les journaux anglophones sont remplis d’articles directement empruntés à l’agence chinoise d’État Xinhua, sans citation aucune. En Afrique du Sud, des entreprises proches de Pékin détiennent 20 % des parts d’Independent Media, le deuxième groupe de médias du pays, qui regroupe vingt grands quotidiens. Cet organe de presse a prouvé son manque d’indépendance en supprimant une chronique consacrée à la détresse des Ouïgours, communauté chinoise de confession musulmane — un sujet qui dérange Pékin ». Tous les mois, Pékin voit aussi passer une moyenne de trente cadres de partis politiques africains, invités par ceux du Parti communiste chinois. Fin juillet, au dernier jour de la 41e session des droits de l’homme, 37 pays, dont le Nigeria, le Togo, le Zimbabwe, l’Angola, et l’Algérie, « venaient au secours de la Chine », en réponse à une lettre envoyée par une vingtaine de pays, principalement occidentaux, dénonçant les internements de Ouïgours dans la province du Xinjiang.

Lire aussi Rémi Castets, « Les Ouïgours à l’épreuve du “vivre-ensemble” chinois », Le Monde diplomatique, mars 2019.

Ces assauts de stratégie de soft power tournés vers le continent africain faisaient, en août dernier, l’objet d’un séminaire au sein de l’École de formation pour les officiers de l’armée de terre américaine . Que l’on y ait longuement disserté sur les outils d’influence employés par la Chine, la Russie, et enfin « l’allié Français », mais aucunement des États-Unis, en dit long sur leur perte d’influence. L’arrêt du programme d’extension de l’université du Ghana, pourtant un des gros projets d’influence soutenus par l’Overseas Private Investment corporation, le bras financier du gouvernement américain, ne devrait pas contribuer à redorer l’image américaine. Pour le Wall Street Journal c’est l’occasion de constater que dans le financement de l’enseignement supérieur sur le continent, la Chine, là aussi, mène la course en tête : 671 millions de dollars engagés entre 2000 and 2014… soit plus du double que les États-Unis.

« Il n’y a plus aujourd’hui de “soft power”, on est partout, si vous me permettez l’expression, dans le “hard” », expliquait Jean-Yves Le Drian en août dernier devant le personnel diplomatique français. L’Afrique est dans le dur.

Jean-Christophe Servant

(1Lire David Bénazéraf, « Soft power chinois en Afrique » (PDF), IFRI, septembre 2014.

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