Si son nouveau statut de pays à revenu intermédiaire (un revenu national brut [RNB] compris entre 1 006 et 3 955 dollars) était un visage, alors la Tanzanie aurait celui de Naseeb Abdul Juma Issack. À 31 ans, l’homme est plus connu sous le surnom de Diamond Platnumz, mais aussi de « Simba », roi de la bongo-flava et, plus généralement, de la pop est-africaine. « Et après le président Magufuli, c’est le Tanzanien le plus connu sur le continent », souligne un confrère de la presse en langue swahilie.
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Diamond Platnumz est né et a grandi dans le quartier populaire de Tandale, à Dar es-Salaam, l’une des métropoles africaines à la croissance la plus rapide du continent. Son premier boulot consistait à vendre des vêtements de seconde main. L’histoire retiendra que c’est le DJ Mike Mhagama, intervenant sur l’une des premières radio privées autorisées sur les ondes tanzaniennes, qui inventa au milieu des années 1990 le terme bongo flava, manière de nommer la fusion locale entre le hip-hop américain, le reggae, le R&B et l’afrobeat ainsi que les styles musicaux traditionnels swahili tels que taraab. La légende, elle, a retenu que Diamond Platnumz dut voler les bagues de sa mère pour se payer ses premières séances en studio d’enregistrement. Et que c’est le producteur Naseeb qui lui cuisina son premier tube, la déclaration d’amour « Nenda Kamwambie » (« va lui dire », en swahili) qui le transforma en icône de la Kizazi Kipya (« nouvelle génération » en swahili).
Nous étions au début de la précédente décennie. La Tanzanie avec son PIB de 32 milliards de dollars et ses 44 millions d’habitants n’affichait encore qu’un RNB de 720 dollars. Dix ans plus tard, en 2019, il était de 1 080 dollars. Le pays comptait 58 millions d’habitants alors que le PIB s’élevait désormais à 63 milliards de dollars. Quand à Diamond Platinumz, il avait entretemps développé un petit empire autour de son label WCB (Wasafi Classic Baby). L’artiste, ainsi que ses managers, dont le plus célèbre se nomme Babu Tale, « ont capitalisé sur les nouveaux sons pour nourrir une base de fans assidus en constante augmentation », raconte dans une longue enquête le journaliste kenyan Darius Okolla pour le site The Elephant. « Sa popularité croissante, poursuit il, combiné à un sens aigu du commerce et une écurie croissante d’artistes talentueux a permis au label de se lancer dans la production de sonneries de téléphone (parmi les plus téléchargées de Tanzanie) mais aussi les concerts coûteux et à guichets fermés (dont les plateaux d’artistes peuvent être vendus jusqu’à 70 000 dollars), les tournées du festival Wasafi, les apparitions en club et à la télévision tout en multipliant les partenariats avec les marques. »
Ambassadeur en Afrique de l’Est d’une célèbre boisson gazeuse, sponsorisé par un opérateur téléphonique, partenaire d’une marque de détergent et de peinture, Diamond a aussi développé une radio FM, et Wasafi TV, qui diffuse ses programmes sur le bouquet satellite DSTV mais également sur sa concurrente chinoise dans le secteur de la télévision numérique, la chaîne StarTimes qui participe au soft power de Pékin sur le continent. Avec une fortune personnelle estimée à 5 millions de dollars, Diamond Plantumz est encore loin derrière le musicien le plus riche du continent, l’Américain d’origine sénégalaise Akon et ses 80 millions de dollars de fortune, ou le roi de l’afro-house sud-africaine DJ Black Coffee et ses 60 millions. Mais il fait jeu égal avec l’Ougandais Bobi Wine.
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À l’ouest de la Tanzanie, ce dernier, incarnant la jeunesse d’un pays qui compte 75 % d’habitants de moins de 30 ans, vient de faire trembler les fondations du Mouvement de résistance nationale (MRN) et du président Yoweri Museveni (M7), réélu pour un sixième mandat à 76 ans. La victoire de M7 était acquise.
En Tanzanie, l’historique parti Chama cha Mapinduzi (CCM, Parti de la révolution fondé par Julius Nyerere en 1977), toujours au pouvoir, a pu en revanche bénéficier de l’aura de Diamond Platnumz auprès de la jeunesse — et d’une campagne de concerts gratuits — pour remporter les élections générales de l’automne 2020. « Nous tenons à vous assurer que vous obtiendrez une victoire massive, avait confié par téléphone Diamnond Platnumz au président Magufuli à l’occasion d’un concert organisé dans la nuit du 1er janvier 2020. On votera pour vous à 100 % ». Diamond s’est aussi fendu d’un remix de son classique « Baba Lao », dédié à Magufuli, et, tout simplement renommé « Magufuli Baba Lao ».
En octobre 2020, John Pombe Magufuli, incarnation de la restauration d’un « nationalisme developementaliste », était réélu à la tête de l’État tanzanien avec un score un peu moins spectaculaire que celui prévu par son jeune soutien : tout juste 84 %, contre 13 % pour le candidat de l’opposition Tindu Lussu, du parti Chama cha Demokrasia na Maendeleo. Parmi les députés pour la première fois élus à l’Assemblée nationale sous la bannière du CCM (262 des 264 sièges), notons l’arrivée du manager historique de Diamond, Hamis Taletale, plus connu sous le nom de Babu Tale, élu député de la circonscription de Morogoro sud-est.
La Tanzanie a atteint son statut de pays intermédiaire avec cinq ans d’avance sur le projet « Vision 2025 » initié sous la présidence de Benjamin Mkapadu, le prédécesseur de Magufuli. Mais cette classification de la Banque mondiale ne reflète pas avec précision la vie de la plupart des Tanzaniens, tout comme elle ne correspond pas à la vision de son premier président, Julius Nyerere, qui prônait un développement centré sur l’humain, soulignent les critiques. Accueilli à l’origine avec enthousiasme par la géneration bongo flava — en particulier pour ses engagements à lutter contre la corruption — le premier mandat de Magufuli, marqué par de grands travaux dans le domaine des infrastructures, s’est aussi caractérisé par une nette détérioration des libertés fondamentales, selon toutes les organisations internationales de défense des droits humains.
Interdiction de publier des contenus relatifs à l'apparition d'une maladie contagieuse sans l'approbation des autorités
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Depuis 2016, souligne Reporters sans frontières (RSF), la Tanzanie a perdu 53 places au classement mondial de la liberté de la presse. Une loi sur les statistiques de 2017 interdit toute publication d’informations statistiques différentes des chiffres officiels, sous peine d’amende ou de prison. Officiellement, il n’y aurait eu ainsi que 509 cas de Covid-19 et 21 décès dans le pays, selon les derniers chiffres publiés fin avril 2020, contre 98 000 infections au Kenya et 37 000 en Ouganda. La société civile tanzanienne s’insurge contre le déni du président Magufuli, à l’image de cette lettre ouverte adressée par l’activiste tanzanienne Mwanahamisi Singano au chef de l’État. Désormais, il est également interdit de publier des contenus proposant « des informations relatives à l’apparition d’une maladie mortelle ou contagieuse dans le pays ou ailleurs sans l’approbation des autorités ». En juin, Magufuli a déclaré son pays « coronavirusfree », une exception qui s’expliquerait par les campagnes de prières qu’il avait préconisées. La Tanzanie est l’un des seuls pays du continent où les voyageurs n’ont pas besoin d’un certificat Covid-19 négatif pour y entrer.
Diamond Planumz a perdu une trentaine de show internationaux suite à l’irruption du Covid-19, mais il ne s’est jamais permis de remettre en cause la parole présidentielle. S’il s’est fendu d’un morceau de circonstance bien enlevé sur la pandémie, auquel contribuent plusieurs figures de son écurie, le titre Quarantine (quarantaine) n’est traversé par aucune invitation à la prudence. Sa désinvolture fut manifeste également lors du concert de fin d’année mené à Juba, la capitale du Soudan du Sud, sans aucun respect des mesures de distanciation sociale imposées par les autorités.
« Mais même lorsqu’on est dans les petits papiers de Magufuli, il faut faire attention avec celui que l’on surnomme le Bulldozer », souligne notre confrère tanzanien. Surtout lorsque l’on enfreint les préconisations présidentielles destinées à combattre un autre virus, l’immoralité et la diffusion de contenus obscènes sur les réseaux sociaux. Début janvier, de retour du Soudan du Sud, Diamond Platnumz apprenait ainsi que l’autorité de régulation audiovisuelle, la Tanzania communication regulatory authority (TCRA) venait d’interdire sa chaîne Wasafi TV d’émettre pour six mois suite à un un show de fin d’année au cours duquel la chanteuse Gigi Money aurait dansé « presque nue ». Gigi Money apparaissait dans une tenue chair sans doute inspirée par Beyoncé lors de sa tournée avec son mari Jay-Z.
En 2018, Diamond Platnumz avait déjà été brièvement arrêté par les autorités tanzaniennes pour avoir fait circuler des photos jugées indécentes sur son compte Instagram, avant d’être provisoirement privé de se produire à l’étranger suite à la diffusion de son morceau « Mwanza ».
L’année dernière, Diamond Platnumz reconnaissait en public que « s’il est du rôle du gouvernement de veiller à ce que les traditions et les cultures locales soient préservées, cela ne devrait pas se faire au détriment de l’expression artistique et de la croissance des industries locales ». Mais c’était au Kenya, dans le cadre du festival Koroga de Naivasha. En Tanzanie, c’est peut être Diamond qui chante, mais c’est Magufuli qui donne le tempo. Et comme le constate la poétesse tanzanienne Neema Komba : « Pour parler dans un pays qui vénère le silence, vous devez être prêt à tout perdre ».