Pour le musicien Jean-Michel Jarre, qui fut, paradoxalement, l’un de ses paroliers, Christophe était un « couturier du son », doté d’une « approche très instinctive ». Un peu mystérieux comme concept, vaguement condescendant. Ce n’est pas nouveau. Christophe a longtemps été considéré comme un chanteur de varièt’, réduit à « Aline », un faiseur de tubes occasionnels mais persistants, un peu niaiseux, à qui il aurait été incongru d’accorder une quelconque légitimation artistique. Changement brusque à la fin des années 1990, « la critique musicale dite pointue s’emballe », comme le formule très malicieusement sa « fiche » sur le site d’Universal Music France, puis il devient à la mode. Du dernier chic, iconique comme on dit. Tant mieux. Si c’est le signe que les hipsters et autres trendies-affriolés ont fini par entendre que ce qui tramait en profondeur la varièt’ ou l’électro, peu importe, de Christophe, c’était l’indispensable dissonance rock, oui, tant mieux. Pour l’avenir.
Parce que, comme le dit (encore) Jean-Michel Jarre à son propos, citant également Bowie, « les grandes voix ne chantent pas vraiment dans le tempo, et pas toujours juste ». Exactement. Ce n’est pas une insuffisance, c’est une esthétique. C’est un point de vue sur le bien-fondé de l’harmonie, de la « justesse », c’est une remise en cause hardie des critères dominants, pour trouver l’écart qui permettra de faire entendre ce dérangement qui est vérité. Qui a envie de chanter vraiment et de rester inoffensif ? Oxymore. Christophe a dès le début biaisé le genre « crooner pour slow qui tue », le genre chanteur « latin lover ». Il l’a rendu bancal, par sa voix, tendue, fluette, trop aigüe, incertaine, il l’a rendu tordu, en allant à fond dans le cliché, en poussant le sentimental jusqu’à sa vérité, en faisant trembler les bons petits repères d’écoute. Christophe, c’est toujours trop, en porte-à-faux, dégoulinant et au couteau. C’est la « norme » vicieusement déboîtée, les frontières brouillées, le feutré qui fausse ce qu’on attendait, et du coup le fait entendre. Rien d’étonnant s’il a collaboré avec l’américain Alan Vega. Le chanteur du duo Suicide. Minimaliste, au rasoir, inoubliable comme des cris dans la nuit de nos nerfs. Pas vraiment un chanteur de charme. Christophe non plus.
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On sait que l’historien Markus Rediker a rendu hommage aux pirates et flibustiers comme acteurs d’une forme d’organisation égalitaire, et salué ce qu’il voit en eux d’esprit révolutionnaire (1). Il a rendu célèbre, après le Capitaine Johnson (alias Daniel Defoe), l’île de Libertalia, fondée par le pirate Misson, où se serait épanouie une utopie libertaire. De façon un peu inattendue, un film bien hollywoodien de 1952, Against all flags (À l’abordage !), réalisé par George Sherman, présente sa version de Libertalia, et offre de surcroît un portrait de femme propriétaire de bateau pirate, consultée à l’égal des autres capitaines, et parfaitement capable de régler ses différents par un duel. Même si la morale hollywoodienne triomphe, c’est gai, et avec Erroll Flynn, Maureen O’Hara, et Anthony Quinn.
La situation sociale va être brutale. Pour le « spectacle vivant », Samuel Churin, membre de la Coordination des intermittents et précaires, dans une intervention vigoureuse affirme que la moitié des intermittents vont disparaître du régime : les propositions ministérielles lui paraissent insuffisantes voire fallacieuses, et il demande donc une « année blanche », le dispositif mis en place après la grève des intermittents en 2003. Du 1er mars 2020 au 15 mars 2021, à chaque date anniversaire (à chaque renouvellement de l’accès aux droits), on regarde la situation de l’allocataire : si les critères d’accès sont acquis, il y a renouvellement, c’est l’assurance chômage qui prend l’allocation en charge, avec ses règles de calcul habituelles ; dans le cas contraire, il faudrait le renouvellement des droits pour une nouvelle période de 12 mois, à compter de cette date, sur la base du taux de la période précédente. L’État couvrirait l’intégralité des indemnités via le fonds provisoire (2).
Lire aussi Nicolas Castel & Bernard Friot, « Un statut nommé désir », Le Monde diplomatique, janvier 2020.
Ces dispositions, il les demande et pour les intermittents du spectacle, et pour les « intermittents de l’emploi ». Plus largement, il souligne qu’il importe qu’on bénéficie tous d’une continuité de revenu quelle que soit la discontinuité de l’emploi : autrement dit, dans la lignée d’Ambroise Croizat, que le système salarial soit attaché à la personne — suivant ainsi les thèses porteuses d’horizon de Bernard Friot. Il appelle à un nouveau Conseil national de la Résistance. Il est certain que l’avenir risque d’être d’autant plus violent que les spectateurs, qu’on a imbibés d’angoisse, risquent d’être peu nombreux, que rien actuellement ne peut se répéter... et qu’il faudra, une fois sortis de ce long moment cauchemardesque, savoir et quel monde nous voulons, et quel art pour ce monde. Il est clair qu’il ne suffira pas de le dire.