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Apichatpong Weerasethakul, une Palme épineuse

par Xavier Monthéard, 26 mai 2010

Une Palme d’or pour un cinéaste thaïlandais. La première. Remise à Apichatpong Weerasethakul pour Oncle Bunme Who Can Recall Hist Past Lives, la distinction suprême fera grincer des dents au « pays du sourire ». Les films d’Apichatpong y échappent rarement aux coupes de la censure, et peu de ses concitoyens connaissent cette œuvre exigeante, souvent présentée en Europe (voir par exemple sur ce blog « Thaïlande : Nous tournons en rond dans la nuit ») et qui avait déjà empoché, le 8 avril dernier, le prestigieux Asia Art Award (A3), décerné par le Seoul Olympic Museum of Art (SOMA), pour le court métrage Phantoms of Nabua.

Comme l’écrit le critique Kong Rithdee, « pour qui est prêt à ouvrir son cœur et à s’offrir au suave assaut d’une esthétique tellement déstabilisante (1) », il y a un cas Apichatpong. Il y a aussi l’auteur courageux, qui certes aime à remercier « les esprits et les fantômes » pour leur concours, mais qui n’hésite pas à dénoncer les privilèges et les pratiques clientélistes. Ainsi, quand, en avril dernier, le ministère de la culture a alloué la moitié des subventions cinématographiques à une seule production, les troisième et quatrième épisodes de Legend of King Naresuan, Apichatpong a lancé, avec son confrère Manit Srivanichaphum, une campagne de signatures via Facebook contre cette décision « partiale et injuste, non transparente ». Seuls 49 des 295 films soumis à proposition avaient reçu un financement. Apichatpong a refusé les 3,5 millions de bahts que lui attribuait le ministère : « Même si j’ai été retenu comme l’un des bénéficiaires, je veux qu’un groupe indépendant fasse une enquête sur l’ensemble de la procédure. (...) Une certaine société de production privée a reçu une large part du soutien financier pour ses projets de films. » Selon le blog Thai Film Journal, l’avis du premier ministre Abhisit Vejjajiva, qui est aussi président du National Committee on Films and Videos, a pesé dans la répartition des subventions.

Quels mérites présente donc King Naresuan pour se tailler la part du lion ? Œuvre du prince Chatrichalerm Yukol, un vétéran passé des films sociaux dans les années 1970 à des films pour adolescents (Daughter et Daughter 2, respectivement 1995 et 1996), puis aux productions à grand spectacle, le film relate les faits d’armes d’un souverain de la fin XVIe - début XVIIe siècle, époque où le Siam connut sa plus grande extension territoriale. Il satisfait l’objectif du ministère de la culture de promouvoir l’unité et la grandeur de la nation, et s’inscrit, via son réalisateur, dans la longue relation que la monarchie thaïlandaise a tissée avec le septième art depuis 1897, quand le souverain modernisateur Chulalongkorn rapporta d’Europe un équipement cinématographique. On peut rapprocher son propos de celui d’un autre film à gros budget bientôt à l’affiche en Thaïlande, Edge of the Empire. Inspirée d’un best-seller des années 1970, cette fresque relate sans grand souci des nuances le combat des Hans (Chinois) et des Thaïs il y a plus de mille ans.

La valorisation d’un passé glorieux est-elle le meilleur antidote à la crise politique qui agite la Thaïlande depuis quatre ans ? Dans une interview accordée au quotidien Bangkok Post, Apichatpong voit les choses différemment : « C’est un moment important dans l’histoire de la Thaïlande. Il nous forcera à repenser nos positions, nos croyances, nos jugements, notre morale. Cela me rappelle le film de Spike Lee Do the Right Thing. (...) Personnellement, je pense que cela devait arriver à cause du fossé entre les pauvres et les défavorisés d’un côté, et les riches de l’autre. » Pour sa part, le réalisateur et photographe Manit, cosignataire de la pétition, dénonce régulièrement la société de consommation en mettant en scène son Homme en rose dans les situations les plus variées. D’autres prennent la vie plus simplement : l’acteur Wanchana Sawatdee, rôle-titre de King Naresuan, a demandé à Sa Majesté la reine de bénir les eaux pour son mariage et attend, en accord avec le palais, une date propice pour l’heureux événement...

Xavier Monthéard

(1In Le Cinéma thaïlandais (collectif), Asiexpo Edition, Lyon, 2006.

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